Ces « éternelles malades » n’ont-elles pas le droit au soin comme tout le monde? Pourquoi une telle discrimination est-elle encore présente de nos jours? Muriel Salle et Catherine Vidal posent un regard rétroprospectif pour comprendre cette situation.
4ème de couverture
En matière de santé, femmes et hommes ne sont pas logés à la même enseigne. Ne sont-elles pas le « sexe faible » ? Au XIXe siècle les femmes sont considérées comme « d’éternelles malades » pour reprendre l’expression de Jules Michelet. Aujourd’hui, la perspective a bien changé : leur espérance de vie dans les pays occidentaux est plus longue que celle des hommes. Toutefois, elles passent aussi plus d’années qu’eux en mauvaise santé et souffrent de pathologies souvent bien différentes.
Les différences purement biologiques sont loin d’être seules en cause. Ainsi, les rôles sociaux et les activités professionnelles des unes et des autres les conduisent à ne pas être exposés aux mêmes nuisances de santé. Comparées aux hommes, les femmes adoptent moins de comportements à risque, consultent davantage, prennent mieux leurs traitements. Les pratiques des médecins se construisent aussi différemment selon le sexe de leurs patients.
Dans le domaine de la santé comme ailleurs, les inégalités entre les sexes existent et relèvent des mêmes stéréotypes et des mêmes mécanismes que dans le reste de la société, mais aussi de facteurs spécifiques, et notamment de la façon dont s’élabore le savoir médical. Pour lutter contre ces inégalités, il faut commencer par tordre le cou à un certain nombre d’idées reçues, chez les soignants comme chez les patients. Ce livre a pour objectif d’y contribuer, et de proposer des perspectives en matière de politique publique au service de la santé des femmes et des hommes.
Mon avis
La définition de la santé a évolué au cours du temps. Au début, c’était juste : “le bon état physiologique d’un être vivant. En 1948, l’Organisation de la Santé (OMS) la définit comme un “état de complet bien-être physique, mental et social”. Une notion qui prend en compte une notion d’épanouissement personnel qui dépend des conditions de vie des individus. En 1986, la Charte d’Ottawa, issue de la première Conférence internationale sur la promotion de la santé du 17 au 21 novembre 1986, complète avec une « ressource de la vie quotidienne qui permet, d’une part de réaliser ses ambitions et de satisfaire ses besoins, d’autre part, d’évoluer avec le milieu ou de s’adapter à celui-ci.” La santé des femmes s’est considérablement améliorée dès le 20ème siècle. Les 30 dernières années, la mortalité maternelle est passée de 25 à 9 décès pour 100 000 naissances. Toutefois, dans le monde, une femme meurt toutes les minutes de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. Dans les pays développés, les femmes font plus attention à leur santé que les hommes, car elles doivent gérer la contraception, la grossesse et la ménopause. Toutefois, elles sont concernées par des maladies dites masculines comme le cancer du pancréas, du foie, de la vessie suite à des changements de comportement vis-à-vis du tabac et de l’alcool. A cela s’ajoute aussi le harcèlement moral, sexuel et sexiste où 1 femme sur 4 déclare en avoir subi sur les 12 derniers mois. Un bilan assez navrant qui prouve que la parole et les lois ne suffisent pas s’il n’y a pas de prévention, de sanction, des arrestations… En 2015, 122 femmes et 22 ont été tués par leur conjoint.e ou ex-conjoint.e. Ce donne un chiffre d’une femme qui décéde tous les deux jours et demi sous les coups de violence domestique. Toutes les 40 minutes, une femme est violée dans notre pays soit 33 viols par jour.
En 2009, Dr Margaret Chan, Directrice générale de l’OMS déclare : “Du fait d’inégalités persistantes entre les sexes et aux niveaux social et sanitaire et de déficiences du système de santé, les sociétés continuent de délaisser les femmes à des moments décisifs de leurs vies”. La pauvreté qui touche majoritairement les femmes les empêche de se faire soigner dû à un travail précaire et irrégulier ainsi que des coûts de traitement élevés.
Comment en est-on arrivé là? On passe de la définition du corps de la femme comme celui de l’homme en moins bien. Puis au 18ème siècle on parle du “modèle des deux sexes”. Pour le docteur Virey, médecin naturaliste et anthropologue français précise dans son ouvrage de 1823 “De la Femme sous ses rapports physiologique, moral et littéraire” : “les différences sexuelles ne sont point bornées aux seuls organes de la reproduction chez l’homme et chez la femme mais toutes les parties de leur corps celles même qui paraissent indifférentes aux sexes en éprouvent quelque influence”. La “Nature féminine” est inventée à la même période. Dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 c’est bien écrit “tous les hommes naissent […] libres et égaux en droit”. “Qui peut définir les femmes? “ s’interroge Desmahis auteur de l’article “Femme” de l’”Encyclopédie” de Diderot et d’Alembert. François Poullain défend l’idée que “l’esprit n’a pas de sexe” en 1673. Mais c’est la vision péjorative qui s’impose. Le docteur Pierre Roussel veut le prouver cette conception dans “Système physique et moral de la femme” en 1775 et le succès est au rendez-vous puisqu’il a été réédité 5 fois jusqu’en 1809. Elles ont un rôle social et biologique concomitant : faire des enfants. “Il n’est personne qui ne distingue à l’oeil le bas ou la jambe d’une femme d’avec le bras ou la jambe d’un homme. Cette différence s’étend vraisemblablement aussi à toutes les parties qui se dérobent à la vue. Peut-être qu’un jour, [… les anatomistes] parviendront à découvrir le terme où finit le le sexe, et à fixer le point où la femme cesse d’être femme, et celui où elle commence à être homme. “ L’abondance du discours médical sur les femmes les consacre comme d’”éternelles malades” pour reprendre l’expression de Jules Michelet (1789-1874). On s’intéresse à leurs humeurs (au sens hippocratique du terme), à leurs nombreuses incapacités, à leurs faiblesses physiologiques et à leur destination sociale. Leur santé tout entière s’en trouve évaluée sous l’angle de la fonction reproductrice. Les maladies sont même assimilées à celles des enfants ce qui les rend vulnérable et incomplète. Jules Michelet décrit la femme dans “L’Amour” en 1858 ainsi : “Elevée par sa beauté, sa poésie, sa vive intuition, sa divination, elle n’est pas moins tenue par la nature dans le servage de faiblesse et de souffrance. Elle prend l’essor chaque mois, et chaque mois la nature l’avertit par la douleur et par une crise pénible et la remet aux mains de l’amour […] De sorte qu’en réalité, 15 ou 20 jours sur 28 (on peut dire presque toujours) la femme n’est pas seulement une maladie mais une blessée. Elle subit incessamment l’éternelle blessure d’amour”.
Simone de Beauvoir dénonce cette conception de la différence femmes/hommes dans “Le Deuxième Sexe” en 1949 : “La femme se détermine et se différencie par rapport à l’homme et non celui-ci par rapport à elle. Elle est l’inessentielle en face de l’essentiel. Il est le sujet, il est l’Absolu : elle est l’Autre”.
En 1804, le code napoléonien indique dans l’article 1124 que “sont privés de droits juridiques : les mineurs, les femmes mariés, les criminels et les débiles mentaux”.
A partir de 1759, on représente distinctement un squelette pour les hommes et pour les femmes. Les os des femmes sont plus petits, dit plus fragiles, , une cage thoracique plus étroite, un bassin plus large imposant aux fémurs une obliquité qui gêne la marche car les genoux se touchent et les hanches se balancent pour retrouver le centre de gravité. Et surtout un cerveau plus petit. L’”Encyclopédie” de Diderot et d’Alembert consacre un article à “Femme” où l’on confirme ses proportions physiques singulières qui ne peuvent apporter qu’un constat : “Tous ces faits prouvent que la destination de la femme est d’avoir des enfants et de les nourrir”. Du 18ème au 19ème, le corps médical se focalise sur ce qu’il appelle la matrice (utérus). Si une femme se sent mal, c’est lié forcément à des dysfonctionnement génitaux. Le docteur Louyer-Villermay (1775-1837) définit l’hystérie comme une névrose génitale de la femme, liée à une lésion du système nerveux utérin, elle-même due à des besoins sexuels innassouvis. Le mariage permet la disparition de la maladie. Certains dès les années 1820 avancent que l’hystérie est une névrose cérébrale. Mais ils sont ignorés. On reste focalisé sur le corps féminin fragile et vulnérable et incontrôlable il faut donc le traiter et le maîtriser.
On pourrait croire que cette idée à changer de nos jours. Pourtant la première cause de mortalité des femmes dans le monde est les maladies cardiovasculaires alors que le cancer du sein est en dixième place. L’infarctus du myocarde est sous-diagnostiqué chez les femmes car considéré comme une maladie dite masculine. Ineke Klinge, professeure de médecine dit en 2010 : « Pour les mêmes symptômes de troubles cardiaques, ceux des femmes ont trois plus de chance d’être attribué à des raisons émotionnelles qu’à des causes biologiques ». L’ostéoporose subit la même chose avec un sous-diagnostic chez l’homme. D’ailleurs un révérenciel adapté n’est apparu qu’en 1997. Les normes en vigueur étaient établies chez des jeunes femmes blanches de 20-29 ans. Les exemples ne manquent pas. Il faut former les professionnels actifs et ceux qui sont encore à l’école pour traiter les patients selon des pathologies et non selon des genres. Une vigilance dont il n’est jamais trop tard à développer.
Un ouvrage percutant et intelligent qui montre bien la différence de traitement entre femmes et hommes. Dommage qu’il n’y a pas de mise à jour régulière pour faire des bilans des régressions, des stagnations ou des évolutions.