Les Palimpsestes – Aleksandra Lun

Pourquoi vouloir écrire dans une autre langue que sa langue natale ? Un asile psychiatrique va redresser ces auteurs rebelles afin qu’ils se rattachent à leur identité. Est-ce vraiment possible ?

En flânant dans une librairie j’ai été attirée par la couverture de « Les Palimpsestes ». IL faut dire qu’elle est assez singulière d’autant plus entourés d’édition plus classiques. On y voit dans une pièce capitonnée une montagne, un canari jaune, un coq, un vélo d’appartement, un portrait d’Hitler et Staline, Rex de la série télévisée et des corps de personnes sur lesquels on a mis des têtes d’auteurs célèbres. Voilà quelque chose d’assez atypique qui ne peut réserver qu’une lecture singulière. Je n’ai pas eu le temps de lire la quatrième de couverture qu’un libraire me prend le livre des mains avec un grand sourire enthousiasme. Une flamme se met à briller dans son regard pour me parler de cette pépite atypique dont il serait dommage de passer à côté. On va apprécier mais à une condition, celle d’aimer les histoires absurdes, improbables. Fallait-il vraiment s’attendre à autre chose en vue de la couverture ? Il ne peut pas m’en dire trop car sinon cela va gâcher la surprise. Il m’a convaincue. Je prends l’ouvrage direction la caisse.

A la troisième page quelque chose attire de nouveau mon regard : Traduit de l’espagnol (Pologne) par Lori Saint-Martin. Traduit de l’espagnol et entre parenthèse Pologne ? Aleksandra Lun est polonaise. Mais elle écrit en espagnol tout en vivant en Belgique. Son boulot ? Traductrice de l’anglais, du français, de l’espagnol, du catalan, de l’italien et du roumain vers le polonais. Voilà quelque chose qui rajoute du singulier. Une fois que l’on plonge dans le roman à la rencontre du personnage central, l’écrivain râté Czelaw Przesnicki tout fait sens. Le pauvre a écrit un roman en langue antarctique, Wampir, vendu à 6 exemplaires dont quatre retourné à l’éditeur. Maintenant il est dans un asile psychiatrique à Liège en Belgique, un pays sans gouvernement depuis 1 an. Pourquoi cet internement ? Il est ici pour être rééduquer. Toute similitude avec des camps de redressement n’est bien entendu pas fortuite. Sauf que lui, il est là pour écrire dans sa langue natale. Il est polonais pourquoi écrire en antarctique ? Plus le temps passe, plus il fait des entretiens avec la doctoresse et plus les mots de son autre langue s’envole. «La doctoresse m’attendait dans son cabinet glacé et quand les infirmiers m’ont enlevé la camisole de force elle m’a demandé pourquoi, au lieu d’écrire dans ma langue maternelle, j’étais source d’ennuis pour un pays qui m’avait accueilli à bras ouverts, bien qu’il fût sans gouvernement depuis un an.»

Dans les couloirs, il fait la rencontre d’autres auteurs dans son cas comme Vladimir Nabokov, Emil Cioran, Samuel Beckett, Eugène Ionesco, Agota Kristof… Eux-aussi sont des migrants linguistiques et aucun n’est pas à renoncer à abandonner leur langue d’écriture. D’ailleurs ils interviennent souvent pendant les séances de psy ce qui donnent des séances assez drolatiques. En plus, ces auteurs célèbres font partis de l’imaginaire collectif et les voir ainsi prendre vie ne laisse pas le lecteur totalement indemne. De toute façon impossible de finir ce roman fictionnel totalement intact. Le narrateur nous touche par son rapport semé d’embûche, lui qui voulait devenir vétérinaire. Et ces leitmotivs qui parsèment les pages comme cet hyperactif d’Hitler ou écouter Maria Callas chanter « Casta Diva ». On vient à savoir les fins des phrases, nous voilà dans le roman, coincé dans l’incongru. Jusqu’à la dernière nous sommes un prisonnier consentant et ravie.

Aleksandra Lun propose un premier roman audacieux et fou à la fois. S’inspirer de son histoire pour écrire quelque chose d’aussi irrationnel donne l’étendu d’un imaginaire fertile. Sans aucun doute, on aura envie de la suivre dans ces délires livresques qui parle à tant de lecteur. Nous attendrons son prochain concentré de second degré avec des réflexions sur notre société. Bravo aux éditions du sous-sol de publier un texte aussi hardi, téméraire et effronté.

Une lecture qui saura vous changer des chemins classiques et vous redonner le sourire. Etes-vous prêt à suivre les limbes de la folie ?

« La thérapie bartlebienne, qui se donne pour objectif la réinsertion linguistique, a été créée par le psychiatre de l’hôpital suisse de Herisau, le docteur Pasavento, lequel, dans son essai Bartleby et compagnie, a parlé pour la première fois des écrivains qui cessent d’écrire. Son étude, publiée dans une revue scientifique française, a permis de jeter les bases du traitement, destiné aux personnes atteintes du syndrome de l’écrivain étranger. »

 

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