Quand des gens sont trop différents, on les enferme dans des asiles d’aliénés. Dans les années 70, on se préoccupait assez peu de leur traitement tant qu’ils n’étaient pas dans l’espace public. Lisa Mandel a décidé de mener l’enquête.
4e de couverture
Voilà plusieurs années que Lisa Mandel et L’Association ont ce grand projet en gestation. Voici enfin le premier volume d’une série qui en comportera trois : HP est une grande fresque ayant pour sujet le milieu de la psychiatrie en France depuis les années soixante à aujourd’hui.
Lisa Mandel raconte cette évolution historique par le petit bout de la lorgnette, ayant interrogé sur leur parcours des parents et des amis qui travaillent depuis plusieurs décennies dans le secteur psychiatrique. Cet aspect anecdotique et le dessin léger et humoristique de Lisa Mandel auraient pu, en apparence, rendre abordable et supportable l’évocation d’un sujet aussi difficile. Mais seulement en apparence : la véracité des faits est parfois si atroce ou si absurde que ce livre ne laissera personne indifférent. On en apprendra long sur les humiliations, les jeux douteux des infirmiers vis-à-vis des malades, les abus… et la grande misère des internés. Ce premier volume (dont deux épisodes ont été pré-publiés dans Lapin) traite des années soixante, le deuxième abordera les années soixante-dix, et le troisième la situation actuelle. HP est un futur grand moment de L’Association.

Mon avis
Le sujet de la folie est assez rarement traité en règle général et d’autant plus en bande dessinée. Lisa Mandel ne s’est jamais interdit d’explorer ce qui l’intéressait. Même si elle possède de l’humour à revendre, elle sait aussi garder son sérieux et mener une enquête. Elle décide de consacrer deux tomes à l’évolution des rapports aux patients dans les hôpitaux psychiatrique. D’ailleurs, on peut déjà constater une évolution dans le vocabulaire puisque le tome se nomme « L’asile d’aliéné ». Cela induit bien un autre rapport aux patients, qui n’étaient pas vraiment considéré comme telle.
Dans ces lieux, souvent dans des états assez déplorables, étaient mélangés dans des dortoirs des individus avec des pathologies différentes. Pour optimiser les coûts, on négligeait l’hygiène, l’alimentation et surtout le respect. Les pratiques étaient d’une véhémence sans nom. Entre la violence physique ou moral, les doses importantes de médicaments, les électrochocs, les infections volontaires… le bilan n’était pas glorieux. Le but bien souvent était d’avoir le calme et la maîtrise, c’est tout. Malheureusement, cela donne l’impression à du personnel médical d’être surpuissant et de pouvoir abuser de privilège qu’ils devraient leur être du, selon eux. Donc frapper, humilier, violer, voler étaient choses totalement normal. C’était bien rare que ces comportements soient dénoncés. Au pire, on changeait juste la personne de service. Un royaume pour les sadiques.
L’autre soucis était d’ordre plus politique. C’était important d’être syndiqué mais pas n’importe où. Tout le monde devait souscrire à FO. Gare à ceux, les déviants qui osaient aller à la CGT voir pire, ne souscrire nulle part. Ceux qui avaient leur carte avaient le droit à plus d’avantage en tout genre. Le népotisme avait de beaux jours devant lui. La bédéaste explore le sujet entre 1968 et 1973. Cela devrait être moins vrai aujourd’hui. Même si l’actualité liée aux troubles psychiques post-covid a été très dense, l’Etat y a peu répondu. Les structures ne sont pas assez nombreuses et encore moins les professionnels pour accompagner les gens en détresse. Bien qu’il y a eu des évolutions non négligeables, on sent encore que le sujet reste tabou. On connaît le principe de communication, si on n’en parle pas, cela n’existe pas. La distinction sociale est encore plus marquée car seuls ceux qui ont les moyens peuvent se permettre des soins adaptés et dans le respect. Au final cette bd est très intéressante. Elle montre en dressant un constat du traitement de la folie, des troubles cognitifs à une période donnée. On ne reste pas insensible face à cette brutalité gratuite et égocentrique.
Un ouvrage percutant qui ne nous laisse pas insensible. On souhaite aux gens en souffrance de trouver un endroit pour aller mieux pas pour les cacher aux yeux du monde.