Nos richesses – Kaouther Adimi

Vous pensez que l’on trouve peu de librairies à Alger ? Peut-être qu’il existe un lieu atypique où les livres construisent un royaume à disposition de tous. Mais l’Histoire tient-elle compte de cela ?

A l’âge de 31 ans, Kaouther Adimi publie son troisième roman. Elle choisit de mettre en lumière une histoire incroyable et pourtant véridique. Celle d’Edmond Charlot. Il a 20 ans, il vient de terminer le lycée à Alger et il doit maintenir choisir ce qu’il fera quand il sera grand. Une idée lui trotte en tête. Il évoque le sujet avec son père, il voudrait ouvrir « une librairie qui vendrait du neuf et de l’ancien ». Mais pas juste un commerce où les gens ne font que passer mais « un lieu de rencontres et de lecture ». Un espace aussi bien pour les lecteurs que les auteurs où les « gens d’ici, de cette terre, de cette mer, sans distinction de langue ou de religion » pourront se retrouver. On ne compte pas les personnes qui lui disent que son projet est insensé. Il faudrait mieux qu’il choisisse un bon métier qui gagne de l’argent. Si l’on ne suit pas ses rêves enfant quand le fait-on ?

Edmond Charlot ne baisse pas les bras et trouve au bout d’un an les fonds nécessaires pour ouvrir sa librairie bibliothèque. Avec l’accord de Jean Giono pour la référence à un de ces récits, la librairie « Nos vraies richesses » ouvre le 3 novembre 1936. Le slogan, « Des jeunes, par des jeunes, pour des jeunes » même s’il fait prétentieux trouve sa place dans ce tout petit lieu. Cela contrebalance avec l’ambition assez grande d’en faire un lieu d’échanges, de passages et de rencontres. Très vite, la librairie se trouve en pleine effervescence. Edmond Charlot n’est plus seulement libraire, le voilà maintenant aussi éditeur. Il débute discrètement avec le texte « La révolte des Asturies » dont la pièce a été interdite d’être joué suite à une révolte de mineurs. Puis c’est  « Rondeurs des jours » de Giono d’être imprimé avec l’accord de l’auteur toujours pour être offert à ces premiers clients.

Puis nous faisons un bon dans le temps où l’on rencontre Ryad, 20 ans. Pour valider son diplôme à Paris, il doit faire un stage manuel. Papa fait jouer son réseau et il décroche un petit boulot à Alger dans une petite librairie. Il doit jeter tous les livres et donner un coup de frais avec de la peinture. Pour lui rien de compliquer dans cette tâche. Les livres il n’aime pas ça. Il en prendra avec lui pour offrir à son amoureuse, Claire, qui lui manque. Sur place, il rencontre le vieil Abdallah qui dort en face de l’ancienne librairie. Un homme étrange qui garde un linceul blanc sur lui. Petit à petit, les deux hommes échangent. Le jeune garçon découvre que le vieil homme était l’ancien gestionnaire de la boutique devenu bibliothèque et ce pendant 20 ans. Il se retrouve sans rien depuis. Heureusement que les voisins se montrent généreux et bienveillants à son égard. Les trois histoires d’hommes se mélangent et montre l’importance que peut avoir un site sur des vies. Des auteurs publiés, des lecteurs conquis par la force des mots avec en toile de fond l’Algérie. Un pays en quête d’identité et de liberté qu’elle n’arrive jamais à conquérir avec ou sans les français.

Comment résister à ce roman qui est un hymne à la littérature et à nos vraies richesses intérieures. Il faut prendre son temps pour tourner les pages comme un bonbon dont on veut garder en bouche les saveurs. On rencontre Edmond Charlot, un homme passionné, audacieux et gentil. Dans les années 30 beaucoup veulent faire entendre une voix pour laisser trace des premières révoltes, de la guerre, de la décolonisation, des attentats sans oublier l’Amour et l’amitié. Camus, Giono, Gide, Vercors, Bernanos, Moravia, Saint Exupery, Frison Roche, Roblès, Amrouche, Kessel… ont passé par cet éditeur hors norme qui croyait en eux. L’auteure s’inspire de ces recherches pour créer une biographie fictive de cet homme qui a créé une librairie pour devenir maintenant une boutique de vente de beignets. On se demande, la culture a-t-elle encore une place pour tout le peuple en Algérie ? L’écriture n’est-elle plus réservée qu’à une certaine élite qui brosse le pouvoir dans le sens du poil ? La force des romans a-t-elle vraiment des frontières pour toucher les gens ?

Kaouther Adimi ne cherche pas ici à faire un livre politique et/ou polémique. Elle veut juste emmener au plus proche le lecteur dans une aventure pleine d’espoir et de tendresse. Progressivement les mots vont vous toucher, vous aurez l’impression de voir cette librairie, de sentir les vieux livres, de toucher ceux tout chaud qui sorte de la presse, vous écoutez ces échanges sur les marches du lieu, vous entendrez le poids du silence… Vous aimeriez vous y rendre et ne plus regarder le temps passer. Alors les pages se tournent avec lenteur, le temps de savourer ces rencontres et l’oublie d’un lieu qui changeait la donne à un moment. La librairie reste dans la mémoire de chacun même si le nom a disparu. Le temps n’a pas oublié la force et la volonté des êtres à vouloir partager.

Un livre touchant qui vous donnera envie d’en parler autour de vous et de l’offrir.

Un très grand merci à La jument verte pour ce livre.

Extrait
« Vous serez seul, car il faut être seul pour se perdre et tout voir. Il y a des villes, et celle-ci en fait partie, où toute compagnie est un poids. On s’y balade comme on divague, les mains dans les poches, le cœur serré.
Vous grimperez les rues, pousserez les lourdes portes en bois qui ne sont jamais fermées à clé, caresserez l’impact laissé sur les murs par des balles qui ont fauché syndicalistes, artistes, militaires, enseignants, anonymes, enfants. Des siècles que le soleil se lève au-dessus des terrasses d’Alger et des siècles que nous assassinons sur ces mêmes terrasses.
Prenez le temps de vous asseoir sur une des marches de la Casbah. Écoutez les jeunes musiciens jouer du banjo, devinez les vieilles femmes derrière les fenêtres fermées, regardez les enfants s’amuser avec un chat à la queue coupée. Et le bleu au-dessus des têtes et à vos pieds, le bleu ciel qui plonge dans le bleu marine, tache huileuse s’étirant à l’infini. Que nous ne voyons plus, malgré les poètes qui veulent nous convaincre que le ciel et la mer sont une palette de couleurs, prêts à se parer de rose, de jaune, de noir.
Oubliez que les chemins sont imbibés de rouge, que ce rouge n’a pas été lavé et que chaque jour, nos pas s’y enfoncent un peu plus. À l’aube, lorsque les voitures n’ont pas encore envahi chaque artère de la ville, nous pouvons entendre l’éclat lointain des bombes.
Mais vous, vous emprunterez les ruelles qui font face au soleil, n’est-ce pas ? Vous parviendrez enfin rue Hamani, l’ex-rue Charras. Vous chercherez le 2 bis que vous aurez du mal à trouver car certains numéros n’existent plus. Vous serez face à une inscription sur une vitrine : Un homme qui lit en vaut deux. Face à l’Histoire, la grande, celle qui a bouleversé ce monde mais aussi la petite, celle d’un homme, Edmond Charlot, qui, en 1936, âgé de vingt et un ans, ouvrit la librairie de prêt Les Vraies Richesses. »

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