Ma vie manga – Osamu Tezuka

Il n’est plus nécessaire de présenter le grand maître Osamu Tezuka. Mais pour mieux le connaître et comprendre son travail, rien de mieux que de lire son autobiographie. On découvre un homme simple, humble et passionné.

4e de couverture
« Ma vie manga a commencé le jour du grand bombardement aérien d’Osaka et le jour de la fin de la guerre, le 15 août 1945. Dans ce livre, je parle de mon enfance, de mes parents, de mes maîtres d’école, de mes amis, et de l’important message que j’ai essayé de faire passer dans mes bandes dessinées. De ma mère qui me lisait des mangas à haute voix, de l’instituteur qui m’a fait découvrir le bonheur d’écrire des histoires, d’un ami qui m’a sauvé d’une situation désespérée. De ce que cela a signifié, pour lui et pour moi ». Le texte a été rédigé à partir de conférences données par Osamu Tezuke à la fin de sa vie, et c’est comme si la vraie voix du grand mangaka parvenait directement jusqu’à nos oreilles…

Mon avis
Rien qu’à l’évocation d’Osamu Tezuka, notre imaginaire se met en marche et nous propose « Astro », « le Roi Léo », « Métropolis », « L’Histoire des 3 Adolf »… Les références ne manquent pas, qu’importe de quelle génération on fait parti. Il est toujours considéré comme un mentor et des pères fondateurs du manga. On peut lire ici et là des interviews du mangaka. Mais pour connaître l’homme face à la création, rien de telle qu’une autobiographie. En 2011, Kana publie « Ma vie manga ». Pour ceux qui veulent tout connaître sur leurs séries préférées vont être dessus. Osamu Tezuka se présente comme une personne assez simple, humble et travailleur. Sa jeunesse a énormément compté sur lui car il en fait référence presque dans plus de la moitié de l’ouvrage. Il l’a écrit âgé de plus de 60 ans donc cela remonte à très loin. A moins, que cela soit une façon de nous parler de son âme d’enfant qu’il a toujours cultivé. Cette sensibilité lui a permis d’être toujours en raccord avec ces lecteurs. Vivre avec son temps est difficile. Par conséquent, il écoutait les conversations de ses enfants avec leurs amis quand ils étaient petits. Quel n’a pas été sa surprise de découvrir qu’ils s’intéressaient à la sexualité déjà à l’école primaire. On sent le paradoxe de la société puritaine japonaise.

Il est intéressant de voir le cheminement de pensée de cette artiste qui a connu la seconde Guerre Mondiale avec son lot de propagande selon les périodes. Le pays a perdu la guerre, les bombes atomiques, connue l’invasion américaine… et cela marque profondément. D’ailleurs, c’est pour cela qu’il s’est toujours revendiqué pacifiste. Dans ses mots transparaisse un humanisme des plus sincères et une certaine méfiance dans la technologie. « Comme je l’ai dit précédemment, « le respect de la vie » est mon seul crédo. C’est pourquoi ce thème revient si fréquemment dans mes livres. Astro le petit robot est souvent considéré comme l’une de mes oeuvres les plus représentatives. Mais, quand on me dit qu’au travers ce manga je montre ma foi dans le progrès technique capable d’apporter le bonheur à l’humanité, je suis très embêté. Relisez-le mieux, s’il vous plaît, et vous verrez que, dans « Astro le petit robot », ce que je dis, c’est que la technologie et la science ont une influence négative sur l’humanité, et que la course à la technologie est en contradiction avec le progrès humain ou celui de la société. Malheureusement, la seule chose que les gens remarquent, c’est le fait qu’un robot de « cent mille chevaux » devienne un héros justicier. Le vrai message ne passe pas. Pourtant, je pense avoir expliqué en termes suffisamment clairs les doutes que j’avais quant à l’influence de la technologie sur les fondements de la société, par exemple dans Zeroman, dans « Black Jack » ou dans « Phénix, l’oiseau de feu ». Le même thème du respect de la vie, je l’ai traité sous des formes diverses, notamment en parlant de la destruction de l’environnement ou de l’antimilitarisme. Peut-être les lecteurs de ces œuvres me jugent-ils comme un artisan capable de traiter n’importe quel sujet au hasard de sa plume, mais en fait, prises globalement, toutes ces séries traitent d’un seul et même thème. » (pp 79-81)

Il insiste sur le fait que la solution pour sauver le monde ne repose pas sur le technosolutionnisme. « La philosophie de Tezuka se résume à deux choses. D’une part, « aimez la vie », et d’autre part, « le développement de la science et de la technologie sans humanité peut conduire qu’à l’extinction totale de l’homme et à la mort de la Terre ». Depuis la fin de bulle spéculative des années 80, l’idée que la valeur humain ne dépend pas de l’argent ou de la position sociale commence à se développer petit à petit ».

Il s’étonne de la vision des jeunes générations sur le monde qui les entoure. Ils doutent beaucoup et voient le monde bien sombre. La question environnementale tient une place prépondérante. « Il y a quelques temps, j’ai eu l’occasion de demander à des collègiens comment ils envisageaient les 21e siècle. Quelle ne fut pas ma surprise de me rendre compte que près de la moitié des jeunes voyaient l’avenir de façon très sombres, extrêmement négative! « Le monde sera détruit par une guerre atomique », « Il n’y aura plus assez de nourriture, les gens mourront de faim ou s’entre-tueront pour manger », « Il y aura un grand tremblement de terre, et des centaines de milliers de gens mourront », « La Terre sera entièrement pollué par la radioactivité ». Cette image de l’avenir est peut-être véhiculé par la télé, les films de S.F. ou les mangas, mais elle était nihiliste que je n’ai pas su quoi dire. Je comprends qu’on puisse avoir le sentiment que les risques d’une crise majeure dans le monde augmentent, mais je ne suis pas arrivé à comprendre pourquoi ces jeunes, qui seront bientôt les citoyens adultes du 21e siècle, ont une vision si désespérante de leur futur.
Et surtout aucune réponse qui laisse entrevoir un quelconque courage de lutter contre les risques, pour chercher une solution de manière à éviter qu’ils ne se réalisent. »

Les adultes jouent important dans la construction des imaginaires des enfants. Ils l’influencent beaucoup jusqu’à effacer une partie d’innocence pour déjà leur inculquer des notions de productivité, de rentabilité, d’optimisation… « Quand je demande aux enfants aujourd’hui de me parler de leurs espoirs d’avenir ou de leurs rêves, je suis souvent déçu de voir que leurs souhaits se résument à quelques rêves désespérément pragmatiques : être riche, seuls aspirations sont matérialistes. Mais, soyons clairs, ce sont les adultes qui ont brisé l’idéalisme de la jeunesse. Plus je réfléchis à ce que devrait être une bonne éducation pour les enfants, plus j’ai l’impression que la culture enfantine est aujourd’hui totalement contrôlée par les adultes et pour leur unique profit. » Et sans grand étonnement le constat est toujours le même. Ils veulent être joueur de foot ou influenceurs car cela permet d’avoir beaucoup d’argent sans trop travailler.

Son constat ne s’améliore pas lorsqu’il évoque la possibilité d’une nouvelle guerre. « Quand je leur ai demandé : ‘Mais si une guerre éclate, que ferez-vous? », plus de la moitié a répondu : « Je m’enfuirai », ou « Si la fuite n’est pas possible, tant pis, je mourrai ».
« Qu’est-ce que l’on peur faire de toute façon? Ce sont les élites qui l’auront déclenchée. »
Cette capacité de renoncement porte la marque des adultes. Voir des jeunes si adultes peut paraître satisfaisant, mais, personnellement, j’ai senti la colère et l’abattement monter en moi en me rendant compte que l’école et la société actuelle étaient incapable d’accrocher les jeunes et de les empêcher de se faire emporter et submerger par le déferlement d’informations qui les pousse à avoir cette vision négative d’adulte.
En apparence, nous jouissons de la paix, mais, dans un certain sens, le moral collectif est encore atteint, encore plus abattu qu’à l’époque de la guerre. Au moins, pendant la guerre, les gens avaient une vision, même si cette vision était erronée. Et elle leur tenait lieu de raison de vivre. Aujourd’hui, seule la volonté de survivre une journée domine le reste, et le plaisir de vivre le présent et l’espoir en l’avenir ont disparu. Même chez les jeunes et les enfants. » (pp 138-139) La société a été très profondément marquée par les bombes atomiques. Est-il possible de se projeter positivement en cas de conflit? La question que l’on peut se poser est que dirait des Français? L’esprit nationaliste n’est-il pas juste bon pour les populistes et les conservateurs surtout en terme de communication? D’autant plus lorsqu’on voit l’impact qu’a eu la pandémie et la guerre en Ukraine.

Il s’interroge aussi sur l’impact de ses créations. On lui a déjà reproché que ses mangas incitaient les enfants à faire n’importe quoi. Discours que l’on entend encore de nos jours aussi bien sur les mangas, le cinéma et surtout le jeu vidéo. Si des adolescentes ou des adultes veulent tuer des gens ou réaliser des choses complètement débiles, c’est l’influence d’un médium. Ce n’est pas la personne qui fait des choix conscients et qui dépassent les frontières de la loi. C’est plus facile d’accuser un support que s’interroger sur les raisons de la personnes, le contexte, les problèmes qu’elles pouvaient avoir. Car au vue de tous les crimes commis, on n’a jamais attendu l’invention des médias pour inciter les gens à devenir des criminels. D’autant plus que les interactions sont nulles voir peu présentent par rapport à des réseaux sociaux qui convertissent des gens ou incitent fortement à la haine ainsi que la violence. Mais il est plus facile d’interdire une publication que de gérer des groupes de trolls même au 21e siècle.
« Le manga est un moyen d’expression qui fonctionne sur l’émotion. Si je suis contraint de respecter la logique et le réalisme, il devient impossible de donner un tant soit peu à rêver ou de véhiculer le moindre sentiment d’aspiration vers un idéal.
Les enfants ont une capacité d’émotion bien supérieure à celle des adultes. Leurs rêves et leurs aspirations ne tiennent pas compte du réalisme. En ce sens, c’est un point commun qu’ils ont avec les mangakas. A moins que ce soient les mangakas qui restent de grands enfants…  » (p. 144)

La société a changé avec tellement de bouleversement. Il a toujours essayé de s’adapter pour proposer des histoires inspirantes et motivantes. En tout cas, cela a donné très envie de se plonger ou se replonger dans la plupart de ces créations si audacieuse. En tout cas, le témoignage du mangaka ainsi que quelques proches apportent un autre regard sur les messages voulues. On sait maintenant que c’est un homme entier et sincère. Il n’hésite même pas à évoquer ses soucis financiers importants qui lui ont demandé d’avoir de l’aide et de s’investir encore plus dans le travail. Un homme généreux lui a porté secours et a changé sa vie. Il y a vraiment des rencontres même informelles qui peuvent faire la différence. On ferme l’ouvrage avec un peu d’espoir en se disant qu’il existe des êtres vraiment gentils, curieux et généreux avec une âme d’enfant.

Une autobiographie agréable et facile à lire qui permet de voir autrement un génie.

12 réflexions sur “Ma vie manga – Osamu Tezuka

  1. Je suis loin de connaître toutes les œuvres de ce maître du manga mais tu m’as convaincue de découvrir plus Osamu Tezuka (et de lire cette autobiographie, elle me fait très envie!). Merci pour la (re)découverte 😉

    • Toi qui aime les mangas, c’est bien de voir les basiques. Tezuka est un gros influenceur. Par exemple, Naoki Urasawa parle souvent de l’influence que ce mangaka a eu sur lui. D’ailleurs, c’est pour cela qu’il a repris la série Astro. Et les adaptations continuent de nos jours avec un dessin dans l’air du temps et une adaptabilité à la société. Graphiquement cela surprend toujours car nous ne sommes plus trop habitué au trait. On peut trouver une grande partie de ces publications dans les bibliothèques. J’ai trouvé Astro la semaine dernière au rayon jeunesse à côté de Conan et de Chi le chat. 🙂
      merci de ton message.

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