Que diriez-vous de plonger dans l’angoisse d’une mégalopole tentaculaire et verticale? N’ayez crainte, car si quelqu’un écrit votre prénom et votre nom, tout ira bien. Une société qui vous en rappellera une autre.
4ème de couverture
» Mais… Manel Naher, c’est moi ! »
Qui est donc cette autre Manel Naher, qui fait la Une des journaux ? Elle fait de l’ombre à Manel Naher, la vraie Manel Naher, l’héroïne de cette histoire !
Elle ne se rend pas compte qu’elle la met en danger, la vraie Manel Naher, en ayant tout ce succès ? Vous comprenez, si tout le monde se met à penser à cette Manel Naher qui devient célèbre, au lieu de penser à Manel Naher, qui passe ses journées au fond d’une petite librairie… eh bien : on risque de l’oublier, notre Manel. Et dans ce monde, si l’on ne pense plus à vous, alors vous mourrez, tout simplement.
Penser à quelqu’un, c’est lui donner de la Présence. L’horizon, ici, est barré par les milliers de noms qui s’affichent de toutes parts, et les mendiants ne quémandent qu’une seconde d’attention… Survivre pour certains, devenir Immortel pour d’autres : c’est la Présence qui fait tourner cette ville tentaculaire. Manel, elle, tournerait volontiers le dos à tout ça ; mais là-bas, au-delà des gratte-ciels, il n’y a que le Grand Vide, d’où personne n’est jamais revenu…
Mon avis
Voilà une bande dessinée assez surprenante. Léa Murawiec livre une fable dystopique qui ne peut que nous interroger sur notre société. Pour nous emporter dans son histoire, elle réalise un travail graphique impressionnant qui risque de dérouter les puristes. Elle n’hésite jamais à mélanger les points de vue, les plans, les cadrage en jouant subtilement avec le bleu et le rouge. C’est à la fois pour nous dérouter, pour montrer que ce n’est pas aujourd’hui, ce n’est pas nous.. mais on s’y rapproche. L’héroïne Manel Naher veut profiter de sa vie dans cette énorme mégalopole dont nous pourrons admirer l’étendu jusqu’au vertige. Elle quitte son boulot et réfléchit à franchir un cap qui pourrait être sans retour. Les êtres ne peuvent exister que si on dit, on lit, on voit son nom et son prénom. Mais comment faire quand on a une homonyme qui prend toute la lumière? Faut-il se résoudre à disparaître? Une question sociale et éthique fait son apparence. Les gens deviennent de plus en plus accros aux réseaux sociaux, n’hésitent pas à se mettre en scène pour recevoir des « J’aime » à croire que cela signifie je t’aime toi. La popularité devient une quête en soi. Et moins, on fait attention à eux et plus certains ont l’impression de ne pas exister, de disparaître. Ils vont même à oublier que la réalité ne se fait pas que sur un écran. Une souffrance moderne qui touche toutes les générations. Faut-il alors tenter malgré les recommandations négatives des autres faire le saut dans « le grand vide »? C’est à chacun de trouver la réponse à cette interrogation. La scénariste a tranché et nous incite à réfléchir. Une première œuvre audacieuse, curieuse, piquante qui ose tout aussi bien sur le fond que la forme. L’ouvrage est plus grand qu’une bd standard et beaucoup plus épaisse. Il lui fallait de la place et du temps pour raconter.
Une oeuvre qui montre le pouvoir de l’image et de l’imagination pour pousser à regarder le monde autrement.
