Payer la terre – A la rencontre des premières nations des territoires du Nord-Ouest Canadien – Joe Sacco

Quand on pense au Canada cela nous évoque le froid, leur accent et le sirop d’érable. Mais on ne pense jamais aux communautés indiennes dont on a tenté d’effacer leur présence et leur culture. Joe Sacco est parti sur place mené l’enquête. Attention aux émotions fortes.

4e de couverture
En 2015, Joe Sacco s’est rendu par deux fois dans les territoires du Nord-Ouest du Canada, au-dessous de l’Arctique. Il est allé à la rencontre des Denes, un peuple autochtone. L’auteur nous raconte l’histoire de ce peuple, ses traditions, restées intactes pour certaines, les premières rencontres avec les Anglais. Pendant longtemps, les peuples indigènes du Grand Nord, vivant sur des terres non propices à la colonisation agricole, restèrent livrés à eux-mêmes, jusqu’à ce que la découverte de pétrole et d’or incite le gouvernement à officialiser son autorité sur eux, comme sur leurs terres. A cette période, les autorités s’appropriaient les territoires, non plus par les massacres, mais cliniquement, méthodiquement, et de façon administrative – grâce à des traités. En lisant ceux-ci, on n’échappe pas à l’impression que les « Indiens » ont donné la terre où ils vivaient en échange de la promesse d’une annuité de quelques dollars, de quelques outils et de médailles pour ceux qui se disaient leurs chefs. Aujourd’hui, la fracturation hydraulique ajoute la pollution à la spoliation initiale.

"Payer la terre", de Joe Sacco, page 7 (Futuropolis & XXI, 2020) (Joe Sacco)

Mon avis
Joe Sacco est le bédéaste qui a créé un nouveau genre avec la bande dessinée du réel. La bd est passé dans le rayon adulte et dorénavant, elle permet d’être le relais d’enquête, de recherches, de rencontres.. Et aussi de parler de sujets souvent peu abordés, tabous et ont été traité par quelques doctorants ou documentaristes. Dorénavant, un autre médium s’inscrit dans le temps et faire le relais de scandale culturel et sociétal. On ne s’interdit pas le nombre de pages et ici il y en 272.

"Payer la terre", de Joe Sacco, page 134 (Futuropolis & XXI, 2020) (Joe Sacco)

Direction le Grand Nord, au pays des Dénés, à la rencontre les membres de
plusieurs ethnies du nord-est du Canada. Le bédéaste va sur place, rencontre
les autochtones et recueille des témoignages touchants. De cela se dévoile un
vrai bouleversement de société et d’éthique. De nombreux peuples vivaient
tranquillement en accord avec la nature. Mais sous leur terre se trouve des
ressources d’une grande valeur : pétrole, gaz et pierres précieuses. A partir
de là, naissent des problématiques. Entre décolonisation forcée, éducation des
enfants, traumatismes, prosélytisme, abus sexuels, violences physiques et
verbales, génération brisée, alcoolisme c’est toute une remise en question
d’une culture qui se fait. De nos jours, les autochtones cherchent à trouver le
juste milieu entre tradition et modernité. Il est difficile à trouver pour
satisfaire tout monde quand on est divisé entre protection de l’environnement
et exploitation des ressources naturelles. La vision ne doit pas se faire
uniquement à court terme. Comment réparer les blessures de groupes quand s’est
immiscé la violence et l’alcoolisme? La perte de repère est omniprésente.
Chaque territoire a négocié un petit quelque chose où l’Etat a tenté d’influencer
pour son intérêt. Le constat est affligeant. Le pouvoir de l’argent est non
négligeable.

En 2015, Joe Sacco avait été initialement pour un reportage publié par la Revue XXI en 2016 sur les conséquences écologiques de la « fracturation hydraulique », pour l’extraction des gaz de schiste. Il y retournera pour approfondir le sujet et surtout l’impact humain. Impossible de pas être touché et révolté sur ce qui s’est passé. Là aussi on voit que l’on enlève les enfants pour les dresser dans des camps avec des religieux qui leur imposent leur foi, leur langue, leur façon de pensée et surtout leur haine. Humiliation, abus sexuel, coup.. tout est bon pour dresser ce qui est souvent considéré comme de la mauvaise graine. Comment par la suite retourner chez soi quand on te dresse à repousser ta culture native? Une fracture générationnelle se déploie avec l’oublie des tradition, des langues et de la communauté. Cela a concerné 150 000 enfants indigènes jusqu’à la fin des années 1990 et ce n’est pas négligeable.

L’ouvrage ne peut pas se lire d’une traite car très chargé en information et en émotion. On exploite des terres ancestrales sans forcément de rétribution pour les tributs. Le gouvernement canadien veut faire croire que se sont ces terres. Des situations d’injustice flagrante ayant des conséquences non négligeables qui s’évalue encore de nos jours. Pour ceux qui souhaitent reprendre le rythme de vie de leurs ancêtres, ils doivent faire face au changement climatique. « Le niveau de l’eau a baissé. Il y a moins d’oxygène dans l’eau qui se réchauffe. Les lacs et les étangs souffrent « eutrophisation » dit-elle. « De plus en plus de plantes poussent au fond à cause du soleil. – Les vents, plus fort qu’avant, chasse l’humidité de l’air et on a des étés très secs et très chauds. Certes les brochets adorent les endroits chauds, peu profonds et infestés d’herbes. Mais les truites aiment l’eau froide, profonde et claire. Le coupable est le changement climatique, dit Jessica. – [On] essaie de gérer le poisson. Mais le réchauffement [sabote] mon travail. » (p. 201). Ces modifications ont aussi un impact sur d’autres animaux. « Comme on l’a vu, les communautés ne s’accordent pas toujours entre elles, ni même en leur sein, sur la voie à suivre. Pour Amos, tous les groupes autochtones du Nord, ont en commun d’être des « chasseurs de caribous… or les caribous sont menacés ces temps-ci ». Leur nombre a chuté au cours des dernières décennies. Les coupables que l’on cite habituellement sont le réchauffement climatique, les incendies de forêt et le développement. Mais même si les peuples autochtones du Nord canadien travaillent à la réalisation d’objectifs écologiques communs, le capitalisme pétrolier dans le reste du monde continue d’influer sur le changement climatique, donc on l’a dans l’os. Et ça m’énerve. En fin de compte, dit-il « nos systèmes définis de colonisation et de gouvernance » ne sont pas conçus pour nous permettre d’utiliser au mieux nos terres ». Ils sont là pour favoriser le capitalisme… et on ne peut pas travailler dans ce système ». (p. 242). Amos encourage un retour au travail de la terre, plus harmonieuse ce qui demande de l’investissement physique et des revenus moyens.

La bande dessinée met le focus sur cela qui est volontairement effacé de l’Histoire d’un pays. Dorénavant, il reste une trace et ce dans le monde. Surtout qu’il s’ancre dans le réel grâce à l’ensemble de témoignages et le croisement des opinions. Un vrai travail de mémoire utile. Le dessin sobre, en noir et blanc, très réaliste, contribue à donner de la vraisemblance. Un travail qui a pris 4 ans et cela se comprend.

Une lecture impactante qui ose parler d’un sujet qu’un pays autant que des industriels préféraient qu’elle reste secrète. Le 9e art fait aussi son devoir de mémoire.

"Payer la terre", de Joe Sacco, page 23 (Futuropolis & XXI, 2020) (Joe Sacco)

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