
Parfois un auteur refuse de continuer d’écrire pour une raison. Quand on découvre pourquoi il a fait ce choix, certains y voient un potentiel économique. La boîte de Pandore s’ouvre et on ne pourra plus rien maîtrisé.
4e de couverture
There is no world
Los Angeles, 1949. Parmi les rayons d’un magasin de comics, Morris Millman, agent littéraire, croise une de ses idoles : le prolifique et brillant Wilbur H. Arbogast, qui a jadis publié de nombreuses nouvelles dans le magazine pulp Outstanding. Mais Arbogast, fantomatique et secret, n’est plus que l’ombre de ce qu’il a été. Morris rêve de remettre Wilbur sur le devant de la scène. Aurait-il un texte, n’importe quoi à vendre, à promouvoir ? Oui, peut-être… Mais ce livre promis est aussi toxique, il rend fou, il tue. C’est du moins ce qu’affirme l’auteur déchu… L’agent, appâté, veut à tout prix publier ce texte, le vendre à des producteurs de cinéma, tout ça sans même l’avoir lu. Il vient, sans le savoir, de réveiller la folle volonté de puissance d’un auteur dément. Wilbur H. Arbogast ne veut pas seulement vendre un livre, il veut créer une bible. Fonder une religion, régenter le monde…Et grâce à la naïveté de son premier lecteur, il pourrait bien y arriver. Avec Electric Miles, le duo Nury / Brüno, continue de nous surprendre, en transportant le lecteur dans un polar fantastique digne de Philip K. Dick et Stephen King.

Mon avis
Le premier volume d’Electric Miles s’impose d’entrée comme une proposition à la fois ambitieuse et séduisante. Dans le Los Angeles de 1949, un agent littéraire rencontre un écrivain oublié, Wilbur H. Arbogast, porteur d’un manuscrit maudit que ses lecteurs affirment avoir payé de leur santé mentale. Le scénario de Fabien Nury joue brillamment sur la frontière entre polar, fantastique et science-fiction, ménageant un suspense psychologique qui ne s’appuie pas sur des fusillades ou des poursuites effrénées, mais sur la perturbation diffuse, la manipulation mentale et le vertige existentiel. Le dessin de Brüno, quant à lui, se déploie avec puissance grâce à ses aplats sombres, ses compositions structurées et son travail sur l’ambiance visuelle créent un décor à la fois rétro et angoissant, où le glamour de l’émulsion hollywoodienne des années 40/50 se mêle à quelque chose de beaucoup plus trouble. Autour du récit se tisse une réflexion sur l’écriture, le pouvoir de l’auteur, le rôle de l’édition et de la publicité. Arbogast ne veut pas simplement publier un livre, il entend fonder une religion, ce qui donne à la narration une dimension métaphysique inattendue pour un polar. Le mélange des genres est maîtrisé. L’album rappelle à la fois l’esprit pulp d’autrefois, le roman noir et le fantastique moderne, et c’est précisément ce décloisonnement qui le rend si fascinant. On apprécie aussi la façon dont l’intrigue installe un puzzle dont on devine qu’il ne se résoudra pas tout de suite. En tant que lecteur, on est entraîné, intrigué, pris au piège du récit, mais on reste volontairement dans le flou, ce qui accroît le désir de connaître la suite plutôt que de tout savoir d’un coup. En somme, ce tome 1 est une réussite sur plusieurs plans : ambiance, visuel, originalité du propos et promesse narrative. Si l’on cherche une bd qui ne se contente pas de faire ce qu’on attend d’un polar, mais qui renverse quelques codes et réserve des frissons de lecture.
Une lecture assez étrange et dérangeante qui nous captive de la première à la dernière page, aussi bien au niveau graphique que du récit.
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