Dans le parcours d’une femme, certaines rêvent d’être mère. Parfois, une fausse couche peut émerger et tout changer. Le sujet reste tabou alors que ce n’est pas un épiphénomène.

4e de couverture
Fausse couche, vraie grossesseUne grossesse sur 4 se termine dans les trois premiers mois. Chaque année en France elles sont environs 200 000 à traverser cette épreuve. Derrière ces chiffres, il y a des femmes, des couples et bien souvent une grande solitude. Pourquoi ce silence ? Et comment lever le tabou dans une société qui a tendance à minimiser ce phénomène ? Cette épreuve traumatique tant sur le plan psychique que physique reste un non-évènement. D’ailleurs, pourquoi parle-t-on de fausse couche alors qu’il s’agit bien d’une vraie grossesse ? Aussi bien dans le monde du travail, que dans la culture ou les médias, peu d’ouvrages abordent cette réalité : subir une fausse couche, c’est difficile et solitaire (du coup). Mais, est-ce-que cela a toujours été le cas ? En donnant la parole à des femmes qui ont vécu cette expérience, mais aussi à différentes intervenantes (militantes féministes, historiennes, personnel médical…), Mathilde Lemiesle ouvre une voie pour sortir de cette méconnaissance des corps et surtout informer. Pour sortir de l’intime, pour que la fausse couche compte, pour que cesse la honte et la banalisation, elle nous livre un roman graphique remarquable qui se lit comme une enquête sociale. Avec un graphisme pétillant et audacieux, l’autrice renoue avec une approche culturelle, linguistique et politique pour repenser l’intime au fil des époques jusqu’à venir interroger notre société moderne. Un album nécessaire, pédagogique et profondément féministe.

Mon avis
Mathilde Lemiesle a décidé de parler d’un sujet personnel avec ces fausses couches. Le fait de le vivre permet de faire un cas personnel un sujet universel. A la façon de Lili Sohn, elle mène une enquête historique, sociologique et culturelle. De tout temps, les femmes ont fait des fausses couches. Celles des reines sont très documentées et on peut encore de nos jours les consulter. Leur rôle se limite souvent à celle qui va donner les héritiers au trône pour les fils et des objets de transactions pour les filles. L’attente est grande. Et si pas d’enfants, le roi peut facilement divorcer. Même si on ne sait pas d’où vient l’infertilité.

Pendant très longtemps, la responsabilité de la fausse couche incombait uniquement aux femmes. Alors que les causes peuvent être multiples. Déjà la défaillance de la qualité du sperme de l’homme n’est pas négligeable. Puis il y a des facteurs extérieurs, plus environnementaux comme l’agent orange, distilbène, pollutions (eau, PFAS, air, perturbateurs endocriniens…) et la violence conjugale.

A cela se rajoute des interrogations sur qu’est-ce qui est perdu? « J’étais entre l’embryon et le bébé. Entre l’accouchement et l’évacuation. Entre la porte et le néant. J’étais là où il n’y a pas de mot. J’attendais un bébé et je perdais un embryon. Je les désirais, ces « bébés », et la perte était considérable. » (p. 95). A partir de quand c’est un bébé et jusqu’à quand c’est amas de cellules? Qui définit la limite? Pour qui? L’ONU? les représentants religieux? l’hôpital? le médecin? Et savoir ça, permet aussi de mieux gérer ce qui se passe face à cette masse de sang et à la douleur. Comment réagir? Il est bien rare que les professionnels de santé montrent de l’empathie et prennent du temps. Bien souvent cela se limite à donner un pilule abortive et dire que c’est comme de grosses règles. « Même si certains soignants sont géniaux d’autres sont à côté de la plaque… (voire nocifs) Banalisation : « Ca arrive à plein de femmes ». Désinformation : « Ca sera comme de grosses règles ». Minimisation : « Ce n’est pas encore un vrai bébé! » » (p. 150). Il n’en est rien. Les gens rentrent chez eux en détresse, avec la peur et de l’incompréhension. En plus, pas de jour d’arrêt donnés pour gérer l’émotion et la fin de la fausse couche. Les groupes de paroles se font rares tout comme les ouvrages thématiques.

Cela fait écho aussi à une recommandation qu’il ne faut rien dire à son entourage avant d’avoir passé les 3 mois de grossesse. Pourquoi vouloir faire garder le silence? Faut-il en conclure que c’est tabou? mal? plein de jugement? de mépris? On doit interroger la banalité de l’expression pour en mieux comprendre le jugement derrière. Tout comme dire faire une fausse couche. « L’emploi du mot faire évoque une responsabilité. On l’utilise principalement pour décrire une action que l’on réalise. Je fais une balade. Je fais souvent le rêve étrange et pénétrant. Je fais une tarte avec des poireaux. J’ai fait une fausse couche. Dans ce contexte, le verbe faire est inapproprié, comme si c’était quelque chose de choisi et que la femme était maîtresse de l’action. » (p. 39). A cela s’accompagne, la question de distinguer la fausse couche et l’avortement. « Avant, on considère qu’un avortement est une contraception… On estime en effet que tant qu’il ne bouge pas le bébé n’est pas vivant, alors on permet cette tolérance. » (p. 54). La bédéaste s’interroge beaucoup sur la nuance entre les deux et aussi dans la perception sociale. Le corps de la femme reste un objet qui mérite l’attention des autres et du contrôle. Sans oublier qu’il doit être contrôlé par les hommes. Le savoir secret des femmes a été rendu illégal. « Ils prennent le contrôle sur l’évènement, décrédibilisant et infantilisant les femmes leur volant leur libre arbitre. » (p. 57). Rien n’est banal. Une lecture très intéressante qui évoque un sujet oublié par le 9e art. La place des femmes se fait et permet de donner sens à des voix laissées de côté.

Une bande dessinée précieuse qui évoque la fausse couche ce qui permettra à des femmes de trouver des réponses à leur question et d’enrichir les imaginaires pour les rendre plus réalistes.

Associations pour aider : Agapa et Association Petite Emilie

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