Johnny Appleseed – Paul Buhle et Noah Van Sciver

Quand un pays se construit, il tente de définir ces bases. Mais c’est assez compliqué quand la précarité sévit partout. Des vagabonds voyagent avec leurs idées comme la préservation de la nature, la tolérance envers les indiens, le véganisme…

4e de couverture
L’Américain John Chapman, alias Johnny Appleseed, est un pionnier de l’agriculture biologique contemporaine. Il s’est fait connaître en semant des graines de pommiers du Wisconsin à l’Indiana. Plus tard, celle-ci donneront naissance à l’industrie du cidre brut. Johnny Appleseed planta également les germes de la non-violence et du végétarisme, prônant la paix entre les Amérindiens et les colons et véhiculant la philosophie humaniste du théologien suédois Emanuel Swedenborg.
Sa vie, extraordinaire, est ici adaptée en bande dessinée.

Mon avis
La culture américaine est rempli de vagabond qui ont eu une illumination sur la société. C’est le cas de l’Américain John Chapman, alias Johnny Appleseed. Dans la préface rédigée par Paul Buhle, on peut lire « […] le pays ont été caractérisées par un réformisme ardent, incluant le droit des femmes, l’abolitionnisme, la montée du végétarisme, aussi bien que par des évènements et des faits politiques majeurs tels que l’esclavage, l’avancée inexorable des colons blancs, le pillage des ressources naturelles et la dépossession des Indiens.
A cette époque, aux Etats-Unis, un nouvel élan religieux, comprenant mormonisme et spiritualisme, trouve un public enthousiaste parmi les Yankees protestants. John Chapman, fervent adepte de la version mystique du christianisme élaborée au XVIIIe siècle par le scientifique et théologien suédois Emanuel Swedenborg, avait quant à lui une vision singulière de la religion. La société fantasmée de Johnny Appleseed renonce à toute forme de violence, considère que tous sont égaux mais aussi que le règne animal mérite bonté et dignité. C’est une société très peu matérialiste et ses membres ont à coeur de se comporter dans la nature comme des flâneurs plutôt que comme des conquérants. » (p. 5). La société s’est dirigée vers l’industrialisation et l’agriculture intensive. Néanmoins l’aventurier croyant est resté comme une figure phare comme l’un des pionniers de la pensée écologique.

L’ouvrage retrace le parcours de vie avec ces particularités d’un pays en construction. Le fanatisme religieux répandu partout qui prend des formes très diverses et des plus surprenantes. La foi est un pillier important quand la pauvreté règne. Mais ce qui détonne est ce choix dans les plantations diffusées dans ses pérégrinations. Les pommes ont de nombreuses vertus et fonctions. « Les pommes modernes sont apparues en Asie, dans les forêts des montagnes de l’actuel Kazakhstan, où les arbres nombreux tendaient vers le soleil leurs branches chargées de fruits. Les caravanes de marchands en recueillaient les pépins que les oiseaux mangeaient et disséminaient. Il y a près de quatre mille ans, les chinois réussirent à obtenir des fruits plus savoureux en greffant des branches sur le tronc d’arbres plus anciens. La lady apple que l’on trouve sur nos marchés ressemble fortement à ce fruits d’autrefois. » (pp. 36-37). Le fruit se retrouve dans des mythes comme la pomme manger par Eve ou la pomme de la déesse Eris qui sema le trouble donnant naissance à la guerre de Troie. Les hommes ont toujours eu une imagination fertile. « Les romains reprenant les techniques grecques, en produisaient plus de vingt variétés. Au mois de novembre la déesse Pomone organisait un festin de pommes. Dans l’Antiquité, la cueillette des pommes était un rituel païen… Les pommes se répandirent en Europe à la faveur des migrations et de l’accroissement de la population, parfois disparaissant par manque de soins, lors des guerres de religion notamment, puis réapparaissant quand les Européens découvrirent les couches les plus aptes à croître et prospérer. Dans le Massachussetts, Johnny put lui-même constater l’échec des tentatives de cultiver des variétés britanniques, qui ne supportaient pas la rigueur des hivers de la Nouvelle-Angleterre. » (pp. 38-39). Le clochard n’aimait pas l’idée de blesser un arbre pour le greffer. Pour lui seul dieu pouvait faire cette amélioration. Il vivait simplement. Parfois, il s’installait dans des zones afin de faire de la culture à destination de ceux qui le suivront. Les auteurs de l’époque laissent de nombreux témoignages de ses actions, de sa vie simple, de l’harmonie avec la nature par rapport à ces croyances.

Il a constaté de son vivant l’évolution des mentalités depuis l’élection de William Henry Harrison en 1840. Les hommes de pouvoir ont décidé de réduire les associations caritatives qui nuisent au commerce. La voie des puritains résonnait plus avec des valeurs très discriminantes. Ils prohibaient l’alcool et voulaient détruire tous les pommiers. Les oiseaux mangeaient les graines et ont tué des centaines d’oiseaux. Les abolitionnistes, les membres des loges maçonniques se font attaqués, battre et voir même tués. Quand le jour de la Rédemption n’arriva pas en 1843, les croyants ont du se diriger vers d’autres croyances pour remplir le vide. Ainsi, on constate un regain d’intérêt pour les écrits d’Emanuel Swedenborg avec des congrégations. Qui fera émerger dans un relatif court terme, les spirituels. Les femmes font leur place en luttant pour leur droit. Elles revendiquent le droit du port du pantalon, le droit à une autonomie financière… « En 1848, l’année où les soeurs Fox lancent le spiritualisme à Rochester, une convention pour les droits des femmes se tient à Seneca falls, non loin de là. Comme le Manifeste du Parti communiste, paru la même année, elle eut un retentissement mondial. Rapidement, des conventions radicales se tiennent sur de nombreux sujets. Partiellement inspiré par Johnny et son refus de tuer, un culte végétarien prit également forme du beau milieu du XIXe siècle. Et à la mort de Johnny, fleurirent des pensions végétariennes, où des réformateurs de toute sorte apprenaient à vivre sans viande. En 1860, des végétariens ramèrent de Boston à New York, puis remontent l’Hudson afin de prouver que l’on pouvait être fort et courageux sans manger de viande. Plus tard, Henry Kellogg, l’inventeur de nos modernes céréales du petit déjeuner, encouragea l’ouverture de cafés et de sanatoriums ainsi que la publication de livres de cuisine consacrés au végétarisme. » (pp. 70-72). Il n’est pas l’investigateur de ces changements. Par contre, il était un rouage dans une période réformes, de doutes, de peur et d’incertitude.

A sa mort, d’autres vagabonds ont laissé une trace de leur passage comme John Muir, John Steinbeck, Jack Kerouac… Un retour à la nature sauvage, faire face à soi-même et mieux comprendre l’injustice du monde. Pour que Johnny Appleseed ne soit pas oublier, des historiens rappellent son passé pour l’inscrire dans l’Histoire de leur nation. Ce comics est une traduction américaine d’une figure de leur culture. Il est bien que l’on puisse le trouver en France pour montrer comment des imaginaires se construisent, que certains sujets ne datent pas d’aujourd’hui, qu’il y a eu des luttes de tout temps… La mise en page est assez standard avec une logique de lecture assez fluide et logique. Paul Buhle et Noah Van Sciver posent aussi bien le contexte politique, sociale et environnementale d’une époque. Les tensions sont nombreuses et les parties prenantes n’ont pas les mêmes attentes. Une lecture très intéressante qui met un nom sur une idée qui s’est transmise.

Une bande dessinée intéressante qui permet de voir un homme à travers le regard d’autochtones. Tolérance, équité, égalité, véganisme ne sont pas des concepts récents et ils s’inscrivent dans le temps et toutes les cultures.

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