Le manifeste des 343 – Histoire d’un combat – Adeline Laffite, Hélène Strag et Hervé Duphot

Même si le droit à l’avortement n’est pas totalement acquis en France, il y avait une période où il n’était pas légal. Le manifeste des 343 a fait bougé les frontières. Grâce à l’engagement de nombreuses femmes de nouvelles libertés s’acquièrent.

4ème de couverture
Fin 1970, Nicole, jeune documentaliste au Nouvel Observateur s’indigne du sort des femmes obligées d’avorter clandestinement. Elle décide de mettre en place une action d’envergure avec le Mouvement de Libération des Femmes et de monter un « scoop » destiné à changer la société et les mentalités…
Ce sera le Manifeste des 343, rédigé par Simone de Beauvoir, signé par 343 Françaises connues ou inconnues et publié par le Nouvel Observateur le 5 avril 1971, alors que l’avortement était illégal en France. Cette audace a marqué l’histoire du féminisme français et ouvert la voie à la loi Veil dépénalisant l’avortement, adoptée en 1975.

Mon avis
Parler d’avortement est toujours une prise de risque. Tout comme publier une bande dessinée et même d’en parler sur son blog. Un sujet qui fait polémique pour son lien à la religion, l’éthique, la société, le masculinise… Pour résumer, quand on parle de donner des libertés aux femmes cela risque de remettre en cause d’une quelqu’une façon le pouvoir des hommes. Comme si d’une certaine manière, ils perdaient des parts du marché. Sur ce point, les choses changent assez peu. Pour preuve, on constate le nombre de manifestations des conservateurs prônant un retour à l’ancien temps. Ce qui prouve qu’il faut raconter les vraies histoires d’actions concrètes qui ont permis de changer les choses et un peu les mentalités.

« – Je préfère que l’on reste discrets, si vous le voulez bien. Pratiquer un avortement est illégal, mais en parler aussi, surtout quand on est médecin.
– Mais le secret médical ne vous met-il pas, de fait, à l’abri?
– Non! Pour tout ce qui touche à l’avortement, la loi nous relève du secret professionnel. Alors on joue avec les mots, on inscrits les avortées comme des femmes qui font des fausses couches. Mais un patron un peu catho, une sage-femme qui vous a dans le pif… On peut être dénoncé et radié par le conseil de l’ordre, et ensuite on finit au tribunal. La morale, la bien-pensance, la religion, l’éthique… Tout est bon pour nous dénoncer.
– Vous confirmez qu’avorter dans un cadre légal c’est simple et sans danger?
– Tout à fait, à New-York, les avortements sont réalisés avec une méthode qu’on appelle le D8C : dilatation et curetage, en une heure, c’est fini… Alors qu’ici, si une femme tombe sur un salaud, et il y en a un bon paquet, même le curetage se fait à vif pour lui faire passer l’envi de recommencer…
– Qu’est-ce qui pourrait faire changer les choses selon vous?
– La loi! Il faut changer la loi, tant qu’on punit les femmes et ceux qui les aident, on maintient cette hypocrisie! » (pp. 47-48)

Impossible d’avoir une sexualité épanouissante si à chaque rapport plane le risque de tomber enceinte. Quelle belle façon de les contrôler en les forçant à se marier et rester dans le carcan familiale. Combien d’hommes n’apprécient pas d’avoir à domicile à objet sexuel corvéable et qui peut lui faire des garçons qui porteront leur nom? Le rôle d’une femme se résume assez souvent à faire les tâches ménagères et incubateur humain. Mais bien d’autres tentent d’avoir une vie libre et gérer le problème de la grossesse non désirés. Le problème repose sur elle. Même dans les familles précaires, comment survivre avec 4/5 enfants? Après un viol, pourquoi la victime devrait garder l’enfant sans pouvoir choisir? Il est difficile de parler de cela dans une société patriarcale et religieuse. Des associations comme le MLF démontre que les femmes ont des idées et peuvent même agir. Pas besoin d’un homme pour lui dire quoi voter ou quel travail elle est apte à faire. D’ailleurs, elles iront déposer une gerbe pour la femme du soldat inconnu. Une action qui a fait polémique. Heureusement qu’elles étaient là pour faire bouger les lignes et trouver des célébrités pour dire publiquement qu’elles avaient avortés.

« Ces femmes ont toutes besoin de travailler. Elles ont peu de moyens, sinon elles iraient, comme toutes celles qui ont assez de fric, en Suisse ou en Angleterre! Mais non! Elles avortent comme elles peuvent, avec des crochets de cintre s’il le faut… et derrière c’est moi qui doit réparer cette boucherie. Je n’y arrive pas toujours, vous savez… Une fille violée, une mère qui a déjà 9 gosses et attend le 10éme… Derrière chaque avortement il y a un drame humain. »

Adeline Laffite et Hélène Strag racontent ce moment assez important dans l’Histoire de la France. Elles posent le contexte, les situations selon le statut sociale, les tensions bien présentes… Qu’elles soient femme de ménage, militante, journaliste aux femmes de lettres et des arts, elles sont représentatives d’une société en souffrance. On leur interdit d’avoir le droit de profiter de leur corps aux principes d’infériorité mentale, du taux de natalité d’une nation, de la perpétuation d’un nom, d’une croyance… rien de très bienveillant, équitable et juste. On prône la fraternité et non la sororité. De plus, la police recherche les avortés comme les avorteuses pour les condamner à la prison à l’image de tueur et cambrioleur. C’est une chance que la France soit aussi le pays de la délation. L’injustice transpire dans les pages et plus cela aurait plus difficile à lire.

« – Dr Peyret, votre proposition de loi sur l’avortement thérapeutique va concerner au mieux 350 femmes par an… Que dites-vous à vos détracteurs ou à ces femmes dehors qui demandent l’avortement libre pour toutes?
– L’avortement libre? Mais nous sommes par prêts! Comme imaginer que les femmes, seules puissent décider de poursuivre ou non une grossesse?
– Nous ne croyez pas une femme de juger seule, si c’est le moment pour elle d’avoir un enfant?
– On n’est pas tout à fait ça. Mais ce geste est lourd de conséquences, il ne faut pas le minimiser.
– Vous n’ignorez pas que la loi du député Neuwirth, votée il y a 3 ans, sur la contraception, n’a toujours pas tous ses décrets d’application? Comment font les couples qui n’ont pas accès à la pilule? Ils en sont réduits à faire le choix périlleux de l’avortement, est-ce ça ne vaut pas mieux que d’étouffer un enfant à la naissance comme on le voit encore?
– Vous schématisez…
– Mais rendez-vous compte! Si votre loi passe… Elle risque de vérouiller les débats pour un long moment… Il ne peut pas arriver pire aux femmes de ce pays. » (p. 55)

Hervé Duphot fait un choix esthétique audacieux avec la bichromie, juste en jouant avec des nuances de rouge/rose. La transition se fait en noir lorsqu’elle inclut des instants du journal télévision pour illustrer l’évolution du discours. Une façon de marquer la réalité avec des faits authentiques d’un côté et de l’autre sa libre interprétation avec les actrices du changement. Les pages se tournent avec l’émotion au coeur de l’estomac. Il a fallu en passer par-là pour en être où nous en sommes maintenant et cela reste encore un combat. Pourtant, il nous est raconté que l’avant publication et la publication des signatures dans le « Nouvelle Observateur ». A travers cela se fait le témoignage de femmes ayant avorté certaines devant aller à la suite à l’hôpital et d’autres meurent. «  »Pas besoin d’être mère pour être femme ». La société très masculine pensent le corps de la femme. Bien que cela soit très romancé, l’essentiel est pourtant dit.

Une bande dessinée pédagogique et utile qui parle que les droits de la femme n’ont jamais été un acquis et qu’à chaque génération se transmet une lutte pour sa liberté.

L’avis Les lectures de Caro : « Le tout est bien raconté, c’est fluide et sans temps mort. Pour moi cet album est à mettre dans toutes les mains à partir du lycée… »

L’avis d’Hypathie : « A lire, à offrir sans modération à vos filles, petites filles, filleules, élèves, via la bibliothèque de votre collège ou lycée : c’est une BD d’utilité publique. « 

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