Initial_A – Thierry Murat

Alice est dorénavant dans un monde bien sombre. Un être d’une intelligence supérieure lui donne des pistes de compréhension. Rien de tel pour vouloir être autonome.


4e de couverture
La première bande dessinée d’auteur, en France, dont les images ont été réalisées à l’aide d’une « intelligence » artificielle générative.
initial_A. est une expérience artistique, un récit graphique en forme de conte philosophique où les clins d’œil discrets à Lewis Carroll et à la culture SF s’entremêlent pour raconter la déliquescence d’un monde trop connecté, trop algorithmé, en bout de course, l’histoire d’un monde à réinitialiser, un Récit à réécrire, à réinventer…
Dans un futur vaguement indéterminé, la voix off, un narrateur omniscient, parle avec une jeune fille sur une planète semblable à la Terre où tout est détruit et doit être réinventé par elle. Elle a, comme compagnon de route épisodique, un robot sphérique volant, est-il là pour l’aider ? La guider ?

Th. Murat, initial_A, p. 62-63Th. Murat, initial_A, p. 62-63

Mon avis
Thierry Murat n’est pas à sa première bande dessinée. Il a fait sa place aussi bien du côté du scénario que du dessin. En 2020, il écrit un scénario qu’il met de côté. Suite à la motivation de sa progéniture, il décide de faire son art autrement. Il se lance dans la conception du dessin par le biais d’une IA, Midjourney 3. Cinq mois de travail a été nécessaire pour aboutir à 150 pages. Son éditeur refuse de la publier à cause de son choix d’outil. Qu’importe. Il lance une campagne sur Ulule pour récolter 23 354€ sur les 19 400€ demandé. L’album est tiré à 2.000 exemplaires, sous le label Log Out qu’il a créé. Et comme l’IA et BD restent peu fréquent, les médias ont décidé de parler de l’ouvrage. Principalement de son choix d’édition et non sur le récit en lui-même. Mais de la com, c’est toujours bon à prendre.

Th. Murat, initial_A, p. 106-107Th. Murat, initial_A, p. 106-107

Le bédéaste nous propose un conte philosophique. Il nous fait rencontrer son héroïne, Alice, qui découvre un monde futuriste complètement essoufflé. L’humain a été corrompu par les machines et le numérique. Une étrange entité volante omnisciente est à ces côtés. Elle tente de dire ce qui s’est passé sans trop en dire. Il est toujours trop tôt pour dire la vérité. Impossible de ne pas faire le lien avec le lapin de Lewis Carroll sur la fond et des références à Stars Wars sur la forme. La finitude et le rapport à la technologie restent de mise comme dans la science-fiction. Est-ce une vision de prospective de rupture?

« Ainsi bien avant la fin du « dernier âge », les vents solaires annonçaient déjà les prémices de l’ultime défaite à venir. Sur les écrans des neuro-interfaces, synchronisées par l’Empreinte Système, la foule publiait, de manière compulsive et paranoïaque, une multitude infinie de pseudo-théories déconstructivistes ou poststructuralistes… Enfermées dans leurs bulles cognitives connectées, les multiples tribus hermétiques composaient virtuellement leur propre réel alternatif en ajoutant massivement les données qui leur plaisaient et en retirant arbitrairement celles qui leur déplaisaient. Ces bulles en réseaux adaptaient la perception du monde à la réalité que chaque micro-groupe voulait lui donner. Au sein de chacun de ces innombrables inframondes « sur mesure », il n’y avait plus d’accès au réel partagé. Et il était donc devenu impossible de recréer un Récit commun. Alors les vieux courants religieux et idéologiques obsolètes avaient peu à peu cédé la place à la colère chronique artificielle.
Chaque jour, un nouvel « update émotionnel » était généré par l’Empreinte Système de manière aléatoire : une nouvelle victime exemplaire, un nouveau bourreau symbolique, une nouvelle indignation… « 

Le graphisme est en total adéquation avec le scénario. Nous sommes dans un univers étrange, oppressant et mystérieux. On dirait le monde d’aujourd’hui qui a été en grande partie détruit. La nature a repris partiellement le pouvoir en recouvrant le passé. Bien qu’Alice a des visages différent, on la suit avec grand plaisir dans ces questionnements et sa quête de vérité. Ne la connaissait elle pas? La voix off que nous ne voyons pas l’aide à en prendre vraiment conscience. Le robot, qui arrive de façon inopinée, est la métaphore de la technologie face à celle de l’humanité. L’image nous intrigue, nous captive. Indéniablement le champ de l’IA permet aux artistes d’aller encore plus pour exploiter leur imagination. Un ouvrage curieux, singulier, travaillé qui plaira à tout ceux qui s’interroge sur la place de la technologie du futur.

Une lecture audacieuse, curieuse et intelligente qui nous place face à nos contradictions. Et avec juste ce qu’il faut de magnifiques images pour nous captiver l’ouvrage en main.

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