Les Seigneurs de la Terre – Tome 5 – Science sans conscience… – Fabien Rodhain et Luca Malisan

Quand on veut développer un combat sur l’agriculture, c’est mettre les pieds dans un plat biscornu. Les enjeux financiers sont tellement énormes que les politiques ont trop à perdre à aller contre ceux qui ont le pouvoir. Les citoyens peuvent-ils être des acteurs du changement?

4e de couverture
Changer de vie pour changer le monde.
2019. Les agriculteurs font face à un grave dilemme. Parvenir à vivre de leur métier en soumettant leurs exploitations à une logique productiviste néfaste à la terre et aux produits dont ils sont issus, ou respecter l’environnement, mais ainsi réduire sa production et peiner à survivre. Florian ne souhaite pas qu’une telle décision soit imposée aux agriculteurs.
Maintenant proche du pouvoir et notamment du ministre de l’agriculture, il entame un combat contre les grandes enseignes de distributions pour la juste valorisation du travail des paysans. Toutefois, un nouveau défi s’impose à lui : affronter l’adolescence de sa fille, future agricultrice, et bien loin d’être en accord avec toutes les fantaisies écologiques de son père.
Un nouvel acte pour cette aventure familiale et paysanne qui soulève des problématiques urgentes et contemporaines.

Mon avis
Le tome commence assez fort pour montrer son engagement et sa vision de l’agriculture. D’une part, nous avons une préface rédigée par Maxime de Rostolan. « L’histoire de l’agriculture est, à ce titre, très illustrative des biais que peut présenter une approche anthropocentrée et motivée par le seul profit financier : les campagnes ont été désertées, les techniques standardisées et déshumanisées, les filières industrialisées, le recours aux énergies fossiles et à la chimie banalisé, au point que nous avons perdu notre lien à la nature et qu’on retrouve aujourd’hui les substances toxiques jusque dans le lait maternel des jeunes mamans. » (p. 2). Malgré des constats plus affligeants partout dans le monde. La monoculture, les graines modifiées et les intrants chimiques restent le modèle validé en haut lieu grâce au travail des lobbys. Par contre, quelques individus luttent ici et là pour proposer une alternative plus respectueuse des individus et de l’environnement.

D’ailleurs sur cette note légèrement positive que débute le récit de la bande dessinée. « Depuis, bien des évènements se sont succédé dans le monde agricole, des plus médiatisés (les lasagnes au cheval, la maltraitance animale ou encore la révélation que nos organismes humains sont tous pollués aux pesticides) aux drames qui se jouent, à l’abri des regards, dans la cuisine de ceux grâce à qui nous pouvons nous alimenter : chaque semaine, en France, deux cents fermes disparaissent et quinze agriculteurs se suicident!
Plus que jamais, nous aurions besoin des politiques. Mais ceux-ci semblent paralysés, dépassés qu’ils sont par le temps et.. les lobbies, à la puissance effrayante. En 2007, les président Sarkozy fait naître l’espoir : appelant à une « révolution écologique », il promet une diminution des 50% des pesticides sur 10 ans. En 2017, ceux-ci auront augmenté de 20%… En 2017, le président Macron rend plus difficiles les aides aux conversions bio et s’avère incapable d’honorer sa promesse d’interdiction totale du glyphosate. Entre eux deux est passé le président Hollande qui, lui n’a rien compris… et a tenu parole.
Pendant que la France, stupéfaite, se familiarise avec la notion d' »effondrement » et voit, sur le pont du Titanic, s’approcher l’iceberg à pas de géant, l’orchestre continue à jouer à l’intérieur, pour les puissants. Monsanto fusionne avec Bayer, les USA dénoncent leur accord sur le climat, le Brésil se transforme en terrain de jeu pour les multinationales mortifères de l’agrochimie.
Heureusement, en même temps que la folie, grandit la conscience. L’alimentation bio et locale est plébiscitée, des collectifs se forment, des scientifiques se regroupent pour nous alerter et nous enjoindre à la désobéissance civile. Des individus osent se dresser face aux fous, et rester debout. Ce sont les héros des temps modernes. » (p. 3). Un texte fort, parlant et très engagé.

Florian est dorénavant plus un activiste engagé qu’un agriculteur bio. Il pense avoir une voix qui porte plus loin depuis qu’il a sympathisé avec Nicolas Hulot. Dans une réunion avec les acteurs de l’agriculteur, il voudrait évoquer le prix plafond pour les revenus. Il faut que les gens puissent vivre de leur travail. La loi du marché est évoqué. Comment lutter contre? « J’aimerais rappeler à monsieur Brunet que si nous menons une politique de prix bas, c’est pour défendre le pouvoir d’achat des français comme a promis de le faire notre président de la République, dois-je vous le rappeler, monsieur le Ministre? ». La réponse va de soi « Comment voulez-vous dialoguer avec des lobbyistes qui défendent des intérêts partisans, toujours les mêmes… ceux de la grande distribution et de l’industrie agro-alimentaire? […]c’est du lobbying citoyen. Bien sûr que je défends les paysans… 8% de la valeur finale : voilà ce qu’il leur revient! Pris de vente moyen du lait : 28 centimes, pour un coût de revient de 32 centimes… Cherchez l’erreur! Quant à leur gain mensuel, c’est 350€ pour 50% d’entre eux! » (p. 16). Faut-il en conclure que c’est un dialogue de sourd? Que seul la loi du plus fort règne? Bien entendu, notre héros va plus loin avec l’exemple de la marque « C’est qui le patron?! ». « Or quelle est sa seule particularité? De partir d’une rémunération correcte du producteur, pour fixer son prix de vente… CQFD. Que je vous dis que la société est prête! » (p. 18). Forcément, l’argument adverse repose sur l’absence d’études de marché qui prouve que les plus précaires et les plus pauvres seraient prêts à acheter un peu plus cher. Le débat n’ira pas plus loin. Se sont les arguments que nous entendons régulièrement sans qu’il soit possible d’établir un juste milieu.

Un autre sujet est abordé avec la notion du bio et de culture raisonnée. La biovallée fait du bio car il y a une demande et que cela permet de faire une plus grande marge financière. Elle fait le minimum demandé pour avoir la certification. Il n’est nullement question de conviction. Impossible d’ailleurs de se passer de phytosanitaires. Nous n’irons là aussi pas plus loin. C’est l’occasion de passer au sujet des OGM et de leur polémique. Attention à ceux qui les attaquent car les lobbys, eux-encore, ont des moyens incommensurables. Un partisan du contre, professeur Geoffroy Serein, tente de rallier Florian à sa cause. Il lui montre son étude et les résultats sont effrayants. Les OGM ont un impact sur les humains. En France, ils sont interdits à la consommation pour les humains mais autorisés pour les animaux. Pour faire passer le message autrement, avec les émotions il organise des ateliers de dégustations de pesticides. « Je me demande souvent pourquoi nous acceptons d’ingérer autant de poisons. Et si c’était parce que nous n’en connaissons pas le goût? D’où l’idée de ces ateliers pour éduquer les palais.. CE soir, vous aurez la chance de déguster du soufre puis du glyphosate, dans de l’eau et dans du vin. » (p. 30). L’idée semble très originale. Un participant dénonce l’usage du cuivre dans le bio. Donc petit aparté sur son usage. Nous n’irons pas plus loin. Est-ce que l’expérience amène à des changements de penser? Aucune idée. C’est juste le prétexte à introduire un nouveau rebondissement. N’oublions pas que nous sommes limités à 48 pages donc il faut tout le temps condensé quitte à juste abordé légèrement des thèmes importants.

Pour l’ultime bond scénaristique, on retrouve le professeur avec Florian rencontrant des politiques et la population en Angleterre pour tirer le signal d’alarme sur les OGM. Critiquer un gros groupe comme Misaint est très dangereux. L’homme en paiera le prix fort. Une fin des plus percutante. Là encore, le scénariste montre qu’il est difficile d’espérer pour demain car on ne peut gagner contre le pouvoir de l’argent. Peut-être que l’ultime tome apporte un peu d’optimisme. En tout cas, manger mieux pour respecter la terre, les humains et les agriculteurs n’est pas pour demain.

Un tome qui semble plus déconstruit par rapport aux précédents, toutefois il porte toujours un message fort. Se battre pour des convictions contre les lobbys industriels est un combat qui peut être fatal.

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