
Vivre en communauté est une vraie aventure. Toutefois, même si l’on partage l’idée du collectif, la normalité revient vite dans le besoin. Donc, le projet doit à un moment s’arrêter.
4e de couverture
Mai 68! Et après? En racontant la création et l’évolution d’une communauté, qui s’est dès le départ appuyée sur une activité économique en marge du consumérisme, Tanquerelle témoigne d’une aventure unique et hors norme qui a, au fil du temps, défié l’utopie de cette époque. Pour la seconde partie des entretiens avec son beau-père, Yann Benoît, Hervé Tanquerelle décide de faire aussi parler sa fille, gamine à l’époque (qui se trouve être son épouse aujourd’hui). Comment vit-on concrètement sur un même lieu, à une vingtaine d’adultes et autant d’enfants ? Comment fait-on perdurer une utopie ? Comment gère-t-on la prospérité ? Loin des clichés hippies, sans détours et sans tabou, ce dernier tome évoque les grands principes de la vie communautaire en train de se fissurer à l’épreuve de la réalité. En parallèle, à la gestion des besoins essentiels à la vie de chacun, les communautaires laissent s’exprimer leurs envies, leur talent d’artistes et se lancent dans la fabrication de petits objets artisanaux. Ils ne pensent pas «rentabilité», ils font. Et seulement deux ans après sa création, la minoterie imprime son premier catalogue. C’est lors du troisième Salon des Métiers à Paris, que le succès de leurs jouets en bois et tissu est au rendez-vous. Mais la prospérité prend du temps et de l’énergie. Il faut s’organiser: assumer le quotidien, les tâches ménagères, le jardinage, les 18 (!) enfants, et en même temps, faire tourner ce qui est en train de devenir une vraie petite usine, pour laquelle le site doit être agrandi. Il faut aussi apprendre à gérer de façon un peu plus élaborée l’argent qui rentre….

Mon avis
Est-ce que l’on peut vivre en communauté pour faire sens ensemble? En voilà une bonne question et qui mérite d’y réfléchir. Hervé Tanquerelle partage ces souvenirs de sa vie dans la communauté. Penser et faire autrement avait alors tout son sens. Ce n’était pas toujours un long fleuve tranquille mais faire et penser avec solidarité était alors de mise. Progressivement, la parole est devenue moins fluide et les non-dits génèrent des tensions. « Ca ne suffisant plus. On s’est vite rendu compte qu’il nous fallait une activité économique solide pour vivre et progresser. A moins nombreux, ça aurait peut-être été viable, mais à ce moment-là, on avait encore des copains qui attendaient de pouvoir se loger à la Minoterie. On n’avait pas le choix. Il fallait ramener de l’argent pour, par exemple, construire les nouvelles maisons. » (p. 7). Pour les enfants, c’étaient toujours des moments de joie et de partage. Leur champ d’expérimentation étaient immense et presque sans limite. Le monde des adultes est si loin de leurs préoccupations. L’amusement restait l’objectif au quotidien à atteindre. D’ailleurs, quand la fille du témoin raconte son enfance, elle n’y a que d’agréables souvenirs. La pression sociale est assez rude. Le besoin de conformisme reprend le dessus avec le besoin d’une voiture personnelle, avoir la télévision, de ne plus être polyamoureux… Progressivement, tout se délite et les gens partent. On vient à se demander si vivre autrement est possible. « On avait beau faire des réunions, discuter à tout-va, je crois que l’on restait malgré tout à la surface des choses. Tout n’était pas exprimé, et du coup, il y avait de la rancoeur. » (p. 106). Le fait de posséder des objets n’est-il pas le meilleur but pour croire que l’on existe que si on consomme? Il ne faut pas en conclure que c’est impossible. Par contre, il faut imposer un cadre et faire en sorte qu’il reste toujours présent. Quand un doute plane, il faut crever l’abcès avant qu’il s’infecte trop profondément. Néanmoins, malgré une forme d’échec, c’est assez instructif. Certains vont plus loin que le concept ou l’analyse. Ils se lancent, essaient, réussissent et échouent. La forme de l’entretien et des flash-backs donnent beaucoup de dynamisme et rend les choses encore plus vraie, concrète. En tout cas, c’est très riche d’enseignements et d’espoir. Une bande dessinée qui doit avoir sa place dans notre bibliothèque et être un outil de formes possibles.
Une lecture très enrichissante qui interroge et nous pousse à nous interroger sur nos valeurs et la société que nous voulons demain.
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