
La Samu social semble aller de soi comme organisation. Pourtant ce n’est vraiment pas le cas puisque qu’un homme est derrière cette institution. Aude Massot décide de nous l’a raconté.
4e de couverture
Chronique du 115 est une plongée dans une réalité qu’on a du mal à regarder en face. L’exclusion.
Ce reportage façon « caméra embarquée » est basé sur des interviews avec le fondateur du Samu Social, des rencontres avec ses salariés, des maraudes…
Aude Massot livre un témoignage salutaire, parfois drôle, toujours humain. Elle nous éclaire sur cette structure et nous aide à voir ce qu’elle offre comme perspectives pour résoudre le problème de l’exclusion.

Mon avis
Tout débute le 10 juillet 2015 où Aude Massot contact le service de communication du Samu Social à Paris. « Je voudrais plutôt faire une sorte de documentaire en BD » (p. 9). Le 5 août 2015, elle rencontre pour la première fois Xavier Emmanuelli, un homme charismatique. « Le Samu Social, c’est une création personnelle. C’est devenu un terme générique et je suis content. C’est quand même une réussite. Il est lié à mon parcours professionnel… Je vais vous l’expliquer en trois mots pour que vous compreniez d’où ça vient. Quand j’ai commencé ma carrière, j’étais médecin d’urgence à la marine marchande. » (p. 16). Cela peut paraître un peu prétentieux cette façon de parler. Dans la préface, on présente l’homme ainsi « Xavier Emmanuelli agit dans les domaines de l’humanitaire (Médecins sans frontières), de la politique (secrétaire d’Etat chargé de l’Action humanitaire d’urgence) et de la santé (chef des Maison d’arrêt de Fleury Mérogis, chef du service qu’il crée Souffrance psychique et précarité dans les Hôpitaux de Saint Maurice…). Il fonde également des structures pour développer l’accompagnement médico-psychosocial des personnes en situation de rue (Samusocial de Paris Samusocial International) et des personnes âgées isolées (Les Transmetteurs). » (p. 4). Le parcours de l’homme force le respect.
Donc lors de ce premier échange, il pose le cadre de son enfance. « Ca a été une période dure mais aussi de bonheur, car on découvrait la médecine de première instance… Et bien que j’étais médecin depuis longtemps, j’ai fait mon apprentissage à l’hôpital Henri Mondor, à Créteil, où il y avait un mec exceptionnel, le professeur Pierre Huguenard… J’ai été son élève, son disciple, ou comme je dis souvent, son premier couteau… A l’époque, c’était le fléau des accidents de voiture. On avait de sérieux cas en traumatologie. Médecins sans frontières est né par la suite en 1971… Cela nous a permis de passer de l’urgence individuelle à l’urgence collective… Je m’y suis beaucoup intéressé, apportant du secours aux populations en détresse, victimes des guerres, catastrophes naturelles dans les zones sinistrées ou les camps de réfugiés… » (p. 17). Il se fait nommer praticien à la prison de Fleury-Mérogis, où il reste 5 ans, c’est là qu’il découvre le sens de l’exclusion.
« Quand j’étais médecin à Nanterre, j’ai vu des pathologies que, non pas mes parents mais mes grands-parents ont dû voir, bien avant les antibiotiques… Vous imaginez ce que ça représentait pour un médecin. Je découvrais les tuberculoses par exemple… C’était fascinant! Bref, j’étais médecin physique, et j’ai profité des connaissance psychiques de Patrick… C’est ainsi que l’idée de créer le Samu Social a germé… Je voulais calquer ça sur le modèle de Samu, le principe de l’hôpital hors les murs. Le Samu Social réunirait les dispositifs médico-sociaux hors les murs… » (p. 20). Après ça, il fallait trouver des soutiens administratifs, politiques et financiers pour faire émerger cette structure. Par chance, Jacques Chirac, homme de communication, travaillait sur « la fracture sociale » et voit une opportunité pour déployer son idée. Le médecin créé un Groupe d’Intérêt Public et Chirac lui confie du personnel, les moins bons et les chieurs. Qu’importe, cela permet de poser les bases. « Donc, victoire. Le Samu Social existait. (…) Le mot Samu Social immédiatement, ça attirait l’oeil. » (p. 23).
Il accepte un poste de secrétaire d’Etat quand Chirac est Président. « J’ai créer le 115, par analogie au 15… Ensuite, j’ai mis en place les Equipes Mobiles d’Aide, qui arpentent les rues de la ville pour porter secours aux usagers. J’ai fait appeler cela « Maraude »… Avant, c’était un mot qui désignait les détrousseurs de cadavres, c’était péjoratif. J’ai fait passer un décret pour qu’il change de sens. On m’a dit que je me flinguais. Maintenant, tout le monde emploie le mot « Maraude » sans savoir d’où ça vient. » (p. 24). Pour aller plus loin, il faut des espaces que l’on peut aménager. On lui propose l’hospice Saint-Michel de Saint-Mandé, qui était devenu un tas de ruines, un ancien entrepôt de pompes funèbres à Richard Lenoir et un autre à Montrouge. Pour faire les travaux, il a été cherché de l’argent auprès des grandes entreprises. « EDF fournissait l’électricité pour les centres. Peugeot prêtait les camions pour les Maraudes. Nestlé offrait le ravitaillement » (p. 26). Après 18 ans, on l’incite à partir car il n’est pas dans la bonne tendance politique. Toutefois les problèmes s’amplifient avec le manque de places et l’essor des marchands de sommeil.
Il est contre le fait de privilégier de donner un logement. « Pouvoir traverser la rue et avoir son PMU, envoyer ses enfants à l’école du quartier, prendre le métro en bas de chez soi, etc… Donc, pour moi le « housing first », c’est une impasse. Mon slogan c’est plutôt « caring first »/ »housing fast ». (p. 29). On oublie l’importance du lien, du faire ensemble.
Ce qui marque en page 32 est le graphique du cercle des quatre grandes catégories d’exclus. « Les « sans-abri » anciennement appelés « clochards ». Ils sont environ 10 000 dans l’agglomération parisienne. Ce sont des gens dans l’extrême abandon, avec des troubles psychiques plus ou moins importants. Ils ont souvent une forte dépendance à l’alcool. Ce sont des hommes incomplets, qui ont pu avoir de sérieux troubles dans leur enfance. Des enfants violés, battus, autistes, qui n’ont pas eu la représentation d’eux mêmes et sont détachés de leur corps. On ne peut pas remettre en insertion.
Les « sans domicile fixe ». Ils regroupent les toxicomanes, les malades psychiatriques, les étrangers en situation irrégulière. Ils ont besoin d’un suivi sur le long terme mais sont souvent dans l’incapacité de faire les démarches administratives ou vers le soin. Les institutions ne les voient pas. Elles n’ont pas les moyens de les suivre.
Les « sans toits stable ». Ce sont les gens du voyage, les marginaux, les jeunes gens parallèles à la société (ex = punks à chien) qui n’ont pas l’envie ni les moyens d’être dans un système d’échange classique.
Les migrants. C’est un phénomène qui débute. Depuis la levée du rideau de fer, les sociétés ne seront plus jamais stables, sans parler des problèmes climatiques de plus en plus fréquents, qui risquent de faire s’accroître le nombre de réfugiés.
« Exclus » définition : René Lenoir, secrétaire d’Etat à l’action sociale sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, redéfinit le terme en 1974. Il désigne un groupe de personnes inadaptées à la société et dont les institutions sont dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins. » La pauvreté est analysée uniquement sous l’angle économique.
Suite à cette entretien, Aude Massot approfondie ces recherches. Elle s’intéresse au hobo, la sociologie du sans-abris. « Si je comprends bien, finalement, il y a différentes formes d’exclusion selon la société dans laquelle on vit mais est-ce que l’exclusion est forcément synonyme de misère? Et pourquoi la société crée-t-elle des exclus? » (p. 37). Il faut créer des liens pour vivre. « Selon les ethnologues, chaque être humain est structuré par quatre grands codes essentiels et archaïques. Le corps. Le temps. L’espace. L’altérité. » (p. 42). La bédéaste explicite les termes et leur importance. Pour le corps par exemple. « Tu te sens donc invisible aux yeux des autres, et, par conséquent, tu deviens invisible à tes propres yeux. Ton énergie te quitte et tu te vides de ton charme. C’est à ce moment que les pathologie se développent. (…) Tu plonges dans les addictions pour oublier ta souffrance, et ton physique se dégrade. Absent de ton corps, tu ne comprends plus ta douleur, tu refuses les soins et tu sombres dans une lourde dépression. » (p. 46). Pour le rapport au temps, il est différent aussi quand on est dans la rue, « le premier repère que tu perds est la notion du temps, qui devient un présent répétitif. Tu répètes les mêmes actes, les mêmes gestes, tu n’es plus capable de te projeter. La seule chose qui peut te faire bouger est une perturbation de ton environnement, comme une descente de police. » (p. 51). Pour l’espace et l’altérité, les bases doivent être précisées. « Chez les êtres humains s’installent insidieusement les codes du respect d’autrui et chaque espace de vie a un rôle : espace privé (maison), espace social (travail, école…) et espace public (gare, transports, musée…). » (p. 54).
Aude Massot va sur le terrain pour découvrir l’action au plus proche des gens. La souffrance est au rendez-vous. Les émotions fortes ne manquent pas. On se rend compte de la chance d’avoir un toit et un travail. Xavier Emmanuelli lui adresse des photos des pathologies des sans-abris comme le syndrome de la « chaussette », la traumatologie, les complications du diabète, les nécroses ou la gale. « J’ai compris qu’il y avait des sans-abris qui perdaient totalement leur autonomie au point d’en oublier leur propre douleur… Voilà pourquoi, le principe du Samu Social est d’aller vers les gens qui ne demandent rien. Mais est-ce que ce sont les problèmes psychiatriques qui conduisent à la rue, ou la rue qui développe les problèmes psychiatriques? » (p. 96). Les interrogations sont nombreux aussi pour le lecteur. On aimerait bien aller plus loin dans la réflexion sur ce qui créé la pauvreté, les choix de société, la construction de l’imaginaire de la pauvreté, les discours haineux… Mais rien de tout cela. On s’arrête soudainement après un accompagnement de jour par la bédéaste. Elle a fait l’exploration. Si on veut aller plus loin sur la société des sans on a qu’à lire la liste de lecture proposée. C’est dommage de donner autant de choses pour clôturer de façon abrupte.
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