Racines – Lou Lubie

Les cheveux ne sont pas un sujet anodin, d’autant plus pour une femme. A croire qu’il faut impérativement des cheveux lisses et long. Comment assumer ces cheveux crépus?

4e de couverture
On n’est jamais content de ses cheveux : Rose, qui a les cheveux crépus, rêve de les avoir lisses. Pour se conformer aux normes sociales, elle sera prête à tout, quitte à gommer son identité métissée. Entre enquête de société et récit de vie, une BD riche et touchante qui parle de sexisme, de racisme, d’héritage et d’acceptation de soi.

Mon avis
Lou Lubie a fait une bd sur un sujet sensible et tabou : les cheveux. Certains, qui sont dans la norme, ne voit pas où est le problème. Mais tant que tu n’as été victime de discrimination capitallaire, tu ne peux pas te rendre compte. Et à cela se rajoute une pression sociétale qui n’est pas facile à gérer, qu’importe sa couleur de peau. Dans la bd, on suit Rose dans sa réflexion sur ses cheveux. Elle est métisse et elle a toujours vécu son rapport à ces cheveux comme une contrainte. C’est long et douloureux de brosser tous les jours les cheveux crépus. Surtout qu’on ne les laisse pas s’exprimer. On les nattes, on les attaches, on les lisse… Pour les hommes, un petit coup de tondeuse et l’affaire est faîtes. Il ne semble pas pour les femmes d’avoir un terrain neutre et tranquille. La féminité est aussi une question de cheveux. Le personnage s’en rend vite compte quand elle décide de se raser la tête pour une question de praticité. On l’a croit lesbienne, associale et d’autres choses encore.

Il faut encore du temps pour qu’elle arrive à conscientiser son rapport à ses cheveux. Pourquoi avoir tant de souci quand ces cheveux son libre? La dysmorphophobie devient une vraie torture. Mais sa quête permet d’avoir une vraie prise de conscience. On découvre que ce qui est relatif aux cheveux crépus à l’Histoire de la Réunion, du colonialisme, de l’esclavagisme et du féminisme. Lou Lubie explique de façon très pédagogique et sans jugement l’évolution des mentalités et l’impact sur la société encore de nos jours. Cela commence dès le plus jeune âge avec le harcèlement. « En France entre 16% et 19% des élèves seraient victimes de harcèlement scolaire. 54% des comportements de harcèlement ont lieu au collège. La plupart du temps les parents ne sont pas au courant. Jusqu’à ce que ça ait des conséquences graves. » (p. 42-43).

Et cela continue en grandissant. « L’apparence des femmes est un perpétuel sujet de commentaires. – Ce sont tes vrais cheveux? – Cette couleur, ça te durcit le visage. – C’est joli! – Tu as changé de coiffure? – Tu as l’air d’une princesse! – Les filles, c’est fait pour avoir les cheveux longs. – Hé Ma’moiselle t’es bonne! – J’adore! – Je devrais les attacher. – Ca te rajeunit. – Tu y vois quelque chose sous cette frange?. » Et pour un homme : « Oui bah des cheveux c’est des cheveux, quoi. ». « Même lorsque les codes homme/femme sont inversés, on en dit toujours beaucoup plus sur elles que sur eux. » Donc quand une femme se rase la tête, les remarques désobligeantes fusent également : – « T’es lesbienne? – Hé, Barthez!, – Tu devrais les laisser pousser. – Ca fait dynamique! – C’est pas très joli. – T’es lesbienne? – Oh non! pourquoi t’as coupé? – T’as un cancer? – Maquille-toi au moins. – C’est pas comme ça que tu vas trouver un copain. » Et quand c’est un homme qui porte des cheveux longs c’est : « Ah, ces jeunes, avec leurs cheveux longs ». (p. 89). Le corps des femmes reste un objet à disposition qui permet d’être sans cesse jugées et touchées.

On oublie souvent ou on ignore que le cheveux c’est une véritable industrie. « Comme les tissages sont presque invisibles, on ne se rend pas compte de leur importance. L’industrie du cheveu afro pèse 9 milliards de dollars en Amérique. C’est le PIB du pays comme le Togo. Les tissages en représentent 60% à 70%. Aux Etats-Unis, un tissage (« weave ») coûte facilement 1 000$. Parfois jusqu’à 3 500$. Certaines femmes afro-américaines même prêtes à s’endetter pour ça! Ce qui coûte aussi cher, c’est la matière première : de véritables cheveux humains. Les plus réputés sont les cheveux indiens, car ils n’ont pas besoin d’être traités. Il existe une tradition en Inde qui consiste à se raser la tête pour faire offrande de ses cheveux à un dieu. 85% des Indiens le font au moins deux fois dans leur vie. Le temple récupère ainsi 1 400 kg de cheveux par jour, les prépare, puis les exporte. Les fidèles qui ont donné leurs cheveux n’ont aucune idée de ce qui en est fait! Mais comme ça ne suffit pas pour la demande mondiale la Chine s’y est mise aussi! Pas de rituel religieux : là-bas, les femmes vendent leurs cheveux. Comme ils sont de moins bonne qualité, il doivent être traités. Une ville entière leur est dédiée : Taihe. Des cheveux de 80 cm se vendent 650€ le kilo (autant que la truffe française!). En 2013, cet « or noir » a rapporté 90 millions de dollars à la ville de Taihe. Mais rien ne garantit que ces cheveux n’ont pas été achetés à bas prix à des femmes dans le besoin, qu’il ne s’agit pas de poils d’animaux traités ou même, qu’ils n’ont pas été volés. » (pp. 94-95). Des chiffres et des pratiques qui peuvent surprendre d’autant plus quand on sait le nombre de femmes concernés dans le monde.

La bédéaste aborde le pourquoi les femmes veulent impérativement des cheveux lisses. « Les esclavagistes rasent la tête des esclaves au nom de la commodité. En réalité, c’est une façon de les humilier, car les colons savent l’importance des cheveux pour les africains. C’est détruire leur identité. Effacer leur culture. Les esclaves n’ont plus les herbes et les soins qu’ils utilisaient en Afrique. A la place, ils se servent de beurre ou de graisse. C’est aussi la disparition du peigne africain remplacé par le peigne européen, pas du tout adapté aux cheveux afro!. Dès lors, apparaît la distinction entre : les « bons cheveux », qu’on peut coiffer au peigne fin les « mauvais cheveux », laids et difficiles à coiffer. On les désigne avec des termes péjoratifs comme « laine », « crin », ou « tignasse ». » Et elle clôture l’approche avec une citation de 1942 de l’abolitionniste Victor Schoelcher : « Quiconque a des cheveux laineux, signe essentiel de la prédominance noire dans le sang, ne saurait aspirer a une alliance avec des cheveux plats. » (pp. 160-161). A vouloir effacer une culture, elle finit toujours par ressortir autrement et de s’installer. Plus on restreint des libertés, plus il faut trouver des subterfuges.

En France, l’un des soucis pour les cheveux crépus repose sur le fait que les coiffeurs ne savent pas couper les cheveux crépus. Pas toujours par choix mais par manque de compétence. « Et c’est bien le problème : en CAP, coiffure, cette texture de cheveux n’est pas étudiée. Jusqu’en 2023, aucune école reconnue par l’état ne forme aux cheveux bouclés, frisés, crépus. En 2010, un manuel de coiffure français écrivait même : « Les cheveux crépus sur l’ensemble de la tête sont une affection congénitale ou héréditaire ». Alors que 20% de la population française à ce type de cheveux. » (p. 173). 20% ce n’est pas négligeable quand même. Cela reste récemment que l’on trouve plus de produit pour maîtriser ses cheveux. Par contre, en terme de coût c’est aussi très cher tout comme lissage, tressage ou couture perruque. A cela se rajoute les fameux rituels quotidiens qui prennent entre 1h30 et 3h00. Donc c’est cher et c’est long contrairement à des cheveux lisses où tout semble facile et bref. Le personnage a décidé d’arrêter de perdre tout ce temps et de trouver des choses plus simples et accessibles.

L’autre élément important repose sur la discrimination à l’emploi aussi. Les femmes à cheveux longs et lisses restent considérées plus compétentes que celles à cheveux crépus. « En 2005, Aboubakar Traoré, steward chez Air France, est interdit d’exercer avec des cheveux tressés. « La coiffure doit garder un aspect naturel. » « Les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette, classique et limité en volume. » Jusqu’en 2007, il est obligé de porter une perruque pour être accepté à bord. Il finira par faire une dépression et être licencié. Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement français, en 2013-2020, est régulièrement attaquée sur sa coiffure. – C’est une véritable provocation. – Un « manque de respect total ». En 2016, en Afrique du Sud : Zulaikha Patel, 13 ans, est interdite d’accès à son école car elle porte ses cheveux naturels.
D’après une étude américaine : Les cheveux frisés/crépus ont 2,5x plus de risques d’être perçus comme « non professionnels ». 2/3 des femmes noires changent leur cheveux pour un entretien d’embauche. 20% des femmes noires ont déjà été renvoyées chez elles à cause de leurs cheveux. » (p. 191). Toutes ces informations prouvent qu’il y a un racisme sociétale considéré comme acceptable. Il faut se soumettre à une norme pour intégrer un système. La discrimination systémique peut se constater et s’analyser grâce à des éléments à l’aspect anodin avec les cheveux. L’impact est sur tout le monde en mettant un poids lourds à porter sur ceux qui ont des cheveux différents. Il n’est pas si facile d’assumer. Un mouvement qui prend de l’ampleur et on le constate en marchant dans la rue et dans les publicités. On doit fier de ces origines car on vient tous d’un peu partout.

Une bande dessinée brillante et très riche qui mêle un élèment esthétique et l’Histoire. Vous apprendrez à regarder avec moins de jugement et plus de savoir.

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