
On pourrait croire que la mode est un concept assez récent. Pourtant il n’en ai rien. Un duo de choc décide de tout raconter pour changer notre regard.
4e de couverture
Scoop : la mode n’a pas toujours été à la mode ! Ni de tous temps ni de toutes les civilisations, il a fallu attendre la fin du Moyen Âge pour qu’elle voit (enfin) le jour en Occident ! Piercing, maquillage, baggy… À travers leurs pérégrinations et leur regard d’expert, Odette et Jean-Paul donnent du sens et de la profondeur à ce qui pouvait d’abord paraître frivole et futile !

Mon avis
Les bd qui évoquent la mode ne sont pas légions. On en trouve qui parlent de créateurs. Là en plus, on a le droit à la collection Octopus, assez réputé pour la qualité du contenu. Le récit est fait à travers deux personnages : Odette, une mamie au sacrée caractère, couturière de formation et Jean-Paul, le hamster, anthropologue de la mode. On commence par le début. De l’Egypte ancienne à la Grèce antique en passant par Rome, les vêtements sont unisexes. La mode paraît au 14e siècle, à la fin du Moyen Age. « […] la mode prend son essor au moment où l’Occident connaît famines et régression économiques, guerres et bandes armées. Et la crise du système féodal, ni la montée des classes marchandes, ni même la volonté des nobles de se distinguer de nouveaux riches me permettent d’expliquer totalement ce phénomène… En fait, l’apparition de la mode révélerait un changement de rapport au monde, un changement de mentalité. Le monde serait une initiative esthétique plutôt qu’une réponse économique. » (p. 9).

La mode repose sur l’argent en grande quantité et le faste aristocratique. Cela est en opposition à l’esprit bourgeois, basé sur le fait d’économiser. La mode apparaît pour trois grandes raisons : « Premièrement, pour que la mode apparaisse, il faut que l’on se mette à valoriser le présent plutôt que le passé. La tradition perd son prestige au profit de la nouveauté. En disqualifiant les habitudes d’antan, la mode participe de la dynamique du changement. On devient auteur de son histoire. Deuxièmement, pour que la mode apparaisse, il faut aussi que l’on se mette à valoriser la singularité de chacun. L’individuel prend le pas sur le collectif. […] L’institution de la mode coïnciderait avec une conscience de soi émergente , une aspiration nouvelle à se réaliser. » (pp. 10-11). « Le mercure galant » est le premier journal de mode. Il est fondé tout de même en 1672 par Jean Donneau de Visé. « […] troisièmement, la mode marque l’entrée dans une nouvelle ère : celle des plaisirs et de la séduction! Si le drapé se contentait d’envelopper la silhouette, les vêtements ajustés exhibent maintenant les charmes du corps! La silhouette médiévale s’étire et devient longiligne. Les moralistes critiquent les robes moulantes des femmes et les tuniques masculines très courtes! » (pp. 14-15). Tout ça permet de mettre en valeur l’individu et être surtout un acteur de son mode.
Grâce à la mode, la bourgeoisie s’enrichit en tenant aussi bien les banques que les commerces. Par conséquent, ils prennent les apparats alors réservé à la noblesse. Une chose inacceptable car comment faire de la distinction sociale? C’est là qu’en Espagne, Italie et en France s’inventent les lois somptuaires. Chaque roi définit des règles pour bien marquer les différentes strates sociales. Il fallut attendre le 29 octobre 1793 par le décret de la convention du 8 brumaire an II pour acquérir la liberté vestimentaire. La distinction se fait toujours avec la qualité des tissus, les couleurs, les bijoux… « Comme dirait Roland Barthes, s’habiller est « un acte individuel et une institution collective » (p. 33).
La mode est un cycle continu de renouvellement à court terme. « La mode reflète donc le désir des plus humbles d’accéder au haut de l’échelle sociale et la volonté des plus riches de se tenir à l’écart. » (p. 41). Donc la mode c’est une incessante lutte entre l’imitation et la distinction. De plus, en achetant des vêtements portés par des stars, on espère prendre un peu de leur réussite. « Tout désir d’avoir est désir d’être. C’est pourquoi la publicité mettra toujours plus en avant son égérie que le produit en lui-même! » (p. 46). On comprend bien ici la nuance entre désir et besoin.
Faut-il pour autant dire que la mode est juste pour les femmes? Il n’y a pas eu de rupture entre Louis XIV et les footballeurs célèbres, partenaires des marques. Il ne faut pas confondre nature et culture. « Mais selon le psychanalyste JC Flügel, tout bascule à la fin du XVIIIe siècle, avec la « Grande Renonciation masculine », soit le moment où les hommes abandonnent le plaisir des apparences aux femmes. […] en refoulant une pulsion primordiale, celle de l’exhibitionnisme, s’exprimant notamment à travers nos parures, les hommes se seraient transformés en voyeur. Le désir d’être vu se transforme en désir de voir. Exact! Ce refoulement les conduisant à projeter pêle-mêle désir exhibitionniste et culpabilité sexuelle sur les femmes! » (p. 60). Est-ce que cela a donné une légitimité aux pervers vicieux comme on peut tellement en rencontrer dans le métro en été? Donc l’homme porte des vêtements sérieux, classe et son épouse doit être un objet, femme-trophée, de réussite. On doit l’admirer et la désirer. « En raison de leur infériorité sociale, exclues du monde du travail et ne pouvant donc se distinguer par leur profession les femmes avaient accordé plus d’importance que les hommes à la mode. […] Si on suite cette logique, l’importance accordée à l’apparence seront inversement proportionnelle à la réussite professionnelle. » (p. 63).
Quand les femmes ont enfin eu accès au monde du travail, elles ne délaissent pas la mode pour autant. « Et si la monde est délaissée par les hommes quand elle devient un attribut féminin quand elle passe au rang de l’artisanat à celui des beaux-arts, la figure de créateur de mode est valorisé et devient masculine. » (p. 64). Pierre Bourdieu parle de la domination masculine dans les vêtements aussi. Les jupes tout comme les talons limitent le déplacement. Les sacs à main encombrent les bras. Mais lorsque les femmes portent des pantalons, souvent leurs pas ne sont pas les mêmes que les hommes. Ils restent petits. Néanmoins, la jupe est aussi un vêtement d’émancipation. La mini-jupe fait scandale car elle le reflet d’une mutation, d’un renouveau et se sont les femmes qui en sont à l’origine et qui se l’approprie. « En révélant leur corps, la mini met en exergue des causes féministes capitales comme le droit à l’avortement, à la contraception et à une sexualité décomplexée! Le fait de disposer librement de son corps, quoi! » (p. 78).
Tout à l’air nous avions abordé la question de nature et de culture. La mode ce n’est pas qu’une question de vêtement. Il y a aussi le maquillage qui cherche à donner une image de la beauté à un moment donnée. C’est aussi une façon de s’opposer à son organicité. L’humain doit montrer sa différence à la bête. Pour la forme du corps, c’est pareil. On veut le maîtriser et lui donner une forme bien particulière. « Les corps et les apparences se métamorphosent en fonction des imaginaires collectifs! » (p. 116).
On apprend beaucoup de choses sur l’Histoire de la mode qui n’est pas apparu par hasard. La mode reste un moyen de vouloir être pareil tout en étant différent des autres. Sans oublier de vouloir marquer une différenciation sociale. On n’est pas des pauvres. Tout est expliqué avec des sources allant de la sociologie à la psychologie et elles se retrouvent à la fin. La force du vêtement met dans des cases et peut donner des libertés. Un juste milieu difficile à trouver car il balance souvent du côté de la superficialité. On peut trouver dommage que ne soit pas aborder la discrimination comme ceux envers les personnes en situation de handicap ou d’obésité, les souffrances psychologiques de n’être pas parfait, les maladies qui peuvent en découler, voir même des suicides. Vouer un culte à la superficialité a aussi des limites qui peuvent être grave. Etre soi peut prendre d’autres chemins à expérimenter en ayant conscience de ce que cela signifie. En tout cas, pour les fans de mode, aucun doute qu’ils apprendront des choses.
Une bd intéressante qui donne à voir que la mode n’est pas moderne et qu’elle va avoir encore du temps devant elle.

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