Ce n’est pas parce que l’on lit beaucoup de bande dessinée, qu’on comprend ses codes. Rien de tel qu’un expert pour éclairer notre lanterne. Scott McCloud va nous guider avec beaucoup de pédagogie et d’humour.

4e de couverture
L’Art invisible est l’ouvrage théorique de référence sur la bande dessinée. Salué par les plus grands noms (Will Eisner, Art Spiegelman, Alan Moore…), Scott McCloud a été le premier à formaliser la bande dessinée en tant que média, de ses origines à sa forme la plus actuelle. Cette parfaite synthèse, claire et accessible, permet à l’amateur comme au spécialiste de profiter de l’analyse riche et pertinente de son auteur.

Mon avis
« Understanding comics – The Invisible Art », titre original fait allusion au livre de Marshall McLuhan « Understanding media » paru en 1964. Il est également considéré comme un ouvrage de référence aussi bien par Will Eisner, Art Spiegelman (1948 – ) ou Alan Moore (1953 – ). Il a été récompensé par un Eisner et trois Harvey Awards ainsi que deux distinctions à Angoulême (Meilleur album étranger et Prix de la Critique). En France, il arrive en 1999 chez Vertige graphic.

C’est un livre ludique qui s’adresse aussi bien aux néophytes qu’aux professionnels du 9e art. L’auteur narrateur choisit de présenter son analyse sous forme de bande dessinée en se mettant en scène. Il débute en se posant la question en donnant une définition de la bande dessinée. Les détracteurs sont cités pour souligner que l’exercice n’est pas si aisé. La définition obtenue est reformulée à plusieurs reprises : elle se veut la plus précise possible. L’auteur tente tout d’abord de définir la bande dessinée comme un art séquentiel : « des vitraux qui représentent des scènes de la Bible aux séries de peintures de Monet, en passant par le manuel de votre voiture, la bande dessinée est omniprésente si on la définit en tant qu’art séquentiel » (p. 28).  

 

Le bédéaste passe rapidement sur l’historique de la bande dessinée, son apparition dans l’Histoire sans s’y attarder, jugeant qu’il s’agit là d’une autre histoire. On retrouve ainsi les techniques narratives qui utilisent les transitions de moment à moment, d’action à action, de sujet à sujet (changement de focalisation : une image de fusil qui tire… suivi d’une image de coureurs qui partent), de scène à scène, de point de vue à point de vue (les yeux du « bon », puis les yeux du « méchant ») ou encore l’utilisation de la continuité entre les images (deux cases représentant des images qui ne semblent pas avoir de liens entre elles finissent pas en avoir lorsqu’elles sont juxtaposées).  

Scott McCloud établit qu’à travers le monde (anglo-saxons, franco-belge et Asie), la bande dessinée est perçue et utilisée différemment. Il se base ainsi sur des statistiques, en établissant des diagrammes comparatifs entre les différentes méthodes de transitions utilisées par les dessinateurs, ainsi que leur fréquence d’utilisation par pays et par créatif. Ainsi, selon ces statistiques, le type d’enchaînement le plus fréquent serait : action à action (environ 65%), sujet à sujet (environ 20%) puis scène à scène (environ 15%). Le manga se différencie de la bd occidentale en ayant recours au cinquième type de transition (peu, voire pas utilisé en Europe), les enchaînements de point de vue à point de vue. Ce type de juxtaposition des images sert en général à créer une atmosphère contemplative, le temps semble s’être arrêté. Chaque dessinateur possède son style. La plupart des personnages sont volontairement simplifiés afin que le lecteur puisse s’y identifier. A contrario, certains personnages sont représentés de façon réaliste afin de créer une distance avec le lecteur. Je m’en suis rendue compte vraiment suite à l’explication.

Autre point important que l’auteur souligne repose sur l’utilisation de l’ellipse. Elle permet de suggérer une temporalité variable entre deux images. L’auteur nous montre ainsi qu’une même histoire, présentée différemment, aura un impact temporel différent. On peut utiliser des cases plus ou moins larges, ou encore un encadré en haut de case qui indique explicitement au lecteur combien de temps s’écoule entre l’une et l’autre. Tout cela pour amener sur une ultime partie qui défend que la bd soit un art au même titre que bien d’autres.  

Si l’ouvrage vous semble intéressant, vous pouvez poursuivre l’apprentissage avec deux autres publications : “Réinventer la bande dessinée” sortie en 2002 en France puis “Faire de la bande dessinée” en 2007 en France.  

Une lecture brillante et enrichissante dont on ressort plus malin avec un regard plus critique et passionné.

Quelques citations intéressantes
« Will Eisner un des maîtres de la bd, a recours à l’expression « art séquentiel » pour définir le genre. Considérées individuellement, les images ci-dessous ne sont que cela : des images. Pourtant si elles s’enchaînent pour former une séquence, même si elles ne vont que par deux, la technique de l’image devient la technique de la bande dessinée. On remarquera que cette définition reste neutre quant aux problèmes posés par le style, la valeur artistique, les thèmes abordés. » (p. 13).

« La conscience que nous avons de ces extensions de nous-mêmes est très simplifiée. Tout ce que nous ressentons appartient à l’un de ces deux mondes : le monde des idées ou le monde des perceptions. » (p. 47)

« L’image est une information que nous recevons. Nous n’avons pas besoin que l’on nous enseigne comment comprendre le message, qui est instantané. L’écrit est une information que nous percevons. il nous faut du temps et un savoir-faire particulier pour un décoder les signes abstraits. Plus les images s’écartent de la réalité, plus elles nécessitent un niveau élevé de perception et se rapprochent alors des mots. Plus les mots sont hardis, directs, plus ils nécessitent un niveau faible de perception, sont reçus rapidement, et se rapprochent alors des images. » (p. 57)

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