Etre une femme, c’est être potentiellement une cible. Odile en a fait la douloureuse expérience. Après avoir été violée par trois hommes, elle décide prendre un nouveau départ.

4e de couverture
Odile B., comédienne, se fait agresser dans un parking, au sortir d’une représentation. La Justice la traite en coupable plutôt qu’en victime. Alors elle entreprend de se faire justice elle-même… C’est le début d’une odyssée urbaine parsemée de rencontres et de meurtres – contée par Odile elle-même, à la première personne.  » Fable sans morale  » sur le thème du viol, dont l’héroïne se transforme à son tour en ange exterminateur, Odile et les crocodiles est un cri contre l’asservissement de la femme et l’un des plus beaux livres de Chantal Montellier.

Mon avis
Chantal Montellier fait partie des pionnières des récits inspirés de sa vie privée et engagées. Même si elle fait œuvre de fiction, c’est en faisant reposer son propos sur des faits et des expériences réelles dans le but de faire une critique de société. « J’ai connu la violence des hommes, la brutalité de leurs pulsions, ce qui est déjà, en soi, une initiation. » Pré-publié dans “Métal Hurlant » en 1983, “Odile et les crocodiles” sort en 1984. L’histoire raconte un moment de la vie d’Odile. La jeune comédienne a été violée et la justice la considère comme coupable. Une chose courante à l’époque et à la notre également. Qui n’a jamais entendu « C’est normal qu’elle se fasse violer, elle portait une jupe ou un décolleté. ». L’agresseur n’aurait pas eu d’autres choix pour gérer son érection. Pourquoi penser comme ça? C’est navrant.

« Alors je me suis retournée et j’ai vu ces trois types qui me regardaient… J’ai tout de suite comprise ce qu’ils voulaient! J’ai bien essayé de m’enfuir, de crier… Tu connais la suite. Ils ont pu être identifiés grâce aux écrans de télé-surveillance, mais comme la scène ne s’est pas déroulée dans le champ des caméras, la preuve du viol n’a pas pu être faite… Mais la pire de tout a été le procès! Lorsque j’ai compris que mes violeurs avaient été acquittés, j’ai cru que j’allais devenir folle. Si on ne m’avait pas retenue, j’aurais tué cette crapule de président Lussat! Tout ça était d’autant plus scandaleux que, quelques semaines auparavant, le même Lussat avait expédié en tôle les violeurs d’une étudiante en droit (qui faisant du stop toute seule en une heure du matin)! Avec des peines de dix à quinze ans ferme! Il faut dire qu’elle avait, elle, un statut social irréprochable : riche, cultivée, solide… Autant de qualités « naturelles » auxquelles le président Lussat ne pouvait rester indifférent. Ses violeurs, par contre, étaient « trois petits cons de zonards » alors! … Mes violeurs, eux, étaient des « fils de bonne famille », des violeurs de luxe – pour une pauvre fille comme moi, presque une aubaine ! J’aurais dû être flattée qu’ils daignent me violer, pour Lussat, ils avaient, au pire, commis « un regrettable faux pas »!… Il a eu vite fait de renverser les rôles… Je n’étais plus une femme salie mais une sale provocatrice. »

Ses violeurs sont rapidement relâchés car ils sont issus de bonne famille. Et elle, n’est pas assez innocente. Par conséquent, elle décide de se venger des crocodiles ou des “croques Odile”, des prédateurs sexuels qui se pensent dans leur bon droit. Elle a été consulté un psy, au hasard. Là aussi, elle se trouve face à un pervers. Là aussi, la bédéaste s’inspire d’une réalité bien triste. « Il n’y a pas eu véritablement traumatisme, mais plutôt un syndrome émotionnel s’accompagnant d’un accès d’angoisse réactionnel, dû à la violence de ces hommes… Je crois d’autre part déceler un important sentiment de frustration. L’absence d’interdit dans votre petite enfance, sans doute lié à un père absent et une mère permissive. […] Vous savez que les rapports entre le viol et la sexualité sont très ambigus. Sachez que le viol est « au lieu » de la jouissance féminine! Ces hommes vous ont prise sans amour, vos pulsions sexuelles et inconscientes n’ont pu être assouvies, d’où un grand sentiment de frustration Vous comprenez? »

Armée d’un coupe papier tranchant, elle tue ceux qui s’approchent d’elle pour l’abuser sexuellement. L’accueil de l’ouvrage à sa sortie reste très négatif car elle aborde un sujet tabou et remet en cause le pouvoir des hommes. La loi n°80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs donne une définition précise du viol et le reconnaît comme un crime : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise, est un viol ». Chantal Montellier fait un dessin abrupt. Nous sommes très loin du dessin chaleureux d’Astérix ou de Lucky Luke. Pour être raccord avec le mot crocodile du titre, les pages sont vertes et non blanches. Certains éléments de la bd en noir et blanc, sont avec des nuances de vert. Une bande dessinée engagée audacieuse pour l’époque et qui l’est toujours de nos jours. Car le 9e art ne s’est pas beaucoup approprié ce sujet.

Une bd déroutante et percutante qui parle du violeur et d’une tueuse vengeresse.

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