L’adversaire d’Emmanuel Carrère au Salmanazar

26Quand Jean-Claude Romand se transforme en roman, cela donne L’adversaire sous la plume d’Emmanuel Carrère. En coproduction avec la scène de création, le Salmanazar, la compagnie La part de l’ombre décide de mettre en scène l’histoire de cet homme à travers le regard de l’auteur. Un pari audacieux, peut-être trop.

Pendant plus de 15 ans, Jean-Claude Romand se fait passer pour un brillant médecin travail à l’OMS à Genève auprès de sa famille et de ces amis. Pendant les journées, il se baladait sur les routes, lisait la presse, se tenait informé de l’actualité. Pour l’argent, il prenait l’argent de son entourage qu’il devait placer dans un financement sur. Puis un jour, le 9 janvier 1993, il décida sans véritable raison de tuer sa femme, ces deux enfants et ces parents. Il va tenter aussi de tuer sa maîtresse mais sous la résistance de cette dernière, il renonce et lui laisse la vie sauve. En mettant feu à sa demeure, il tente de mettre fin à ces jours. Mais ayant bien choisi l’heure qui correspondait à l’heure du passage des éboueurs, il fut sauvé et jugé. Sans remord, l’homme demande pardon à ceux qu’il a tué, ce qui va lui valoir prison à perpétuité. Il va prochainement ressortir après 22 ans d’emprisonnement.

Emmanuel Carrère a été totalement fasciné par cet homme qui mis en place une effroyable supercherie et qui fascine par sa gentillesse et sa bonté. Pour connaître mieux ce personnage étrange, il va pendant 5 ans, aller le rencontrer en prison et échanger par voie postale, va rencontrer ces proches, sa maison… A travers son roman L’adversaire, il va raconter cette histoire qui l’a touché plus qu’il n’aurait pu le croire. D’ailleurs, son personnage, interprété par Vincent Berger, va être présent car c’est lui qui va être la clé de voûte de cette histoire. Frédéric Cherboeuf joue son propre rôle sur scène pour demander l’autorisation au personnage d’Emmanuel Carrère pour adapter son roman au théâtre, après l’adaptation au cinéma. L’accord fait, il monte au milieu de la petite jauge, se place au milieu et suit le spectacle avec un gentil rétroéclairage, légèrement aveuglant. Il va prêter sa voie à la fin au juge l’interrogeant.

Le metteur en scène a fait le choix d’une petite jauge de 80 personnes. Alors c’est sur scène que j’ai dû monter, installer sur une tribune de fortune pour assister à un spectacle bien étrange et dérangeant. L’espace est séparé en deux parties, une partie basse avec au milieu un piano, à droite des cartons et un panneau avec des photos et cartes concernant M. Romand et en haut, une table qui sert aussi bien de table que de tribune. L’espace se délimite également avec les jeux de lumière directs et sans fioriture. Aucun accessoire n’est superflu et ne doit gêner autant le mouvement que l’histoire. Seul, le piano au centre accompagne les envolés lyriques comme les scènes de drames.

Vincent Berger qui incarne à la fois Emmanuel Carrère et Jean-Claude Romand avec uniquement un accessoire de différence mais un caractère radicalement opposé. Ainsi il est à la fois écrivain, enquêteur, meurtrier, justicier, fou… Un panel de comportements interprétés avec une justesse surprenante. Acteur que j’avais déjà vu dans L’œil du loup de Daniel Pennac à la maison des métallos qui m’avait enchanté par sa magnifique prestation. Excellents jeux aussi des autres comédiens : Camille Blouet, Frédéric Cherboeuf, Jean de Pange, Gretel Delattre, Alexandrine Serre, Maryse Ravera qui sont fervents croyants, journalistes, amis, voisins du meurtrier sans cœur… J’ai adoré la scène où l’amante présente au balcon du théâtre, juste au-dessus de ma tête assiste au tribunal au jugement, le regard plein d’émotions, les larmes coulantes le long du visage. Une présence discrète car hors scène mais qui englobe l’ensemble des personnages.

Heureusement que ces comédiens de talent sont là pour donner du dynamisme à la pièce car quel ennui. Un ennui peut être dû à la thématique de parler avec curiosité d’un homme qui a tué tranquillement 5 personnes de sa famille. L’irrationalité de cette situation attire la curiosité des médias, des écrivains, des croyants… Il manque tellement de gens exceptionnels pour s’intéresser d’aussi prêt à des personnes aussi horrible ? L’horreur fascine, c’est indéniable et ce doit être cela qui me dérange, m’attriste et m’énerve à fois. Alors les 1h45 m’ont semblée très très longue.

Malgré le grand inconfort de la banquette de fortune, le rétroéclairage bleu au milieu du public qui reste allumé pendant toute la représentation, le sujet choisi ; la grande maîtrise du jeu des comédiens sauve tout. Je vais suivre de près cette compagnie pleine de ressource et bannir à jamais Emmanuel Carrère aussi bien dans ces romans que dans les adaptations cinématographiques ou théâtrales.

Le diable tout le temps – Donald Ray Pollock

Donald-Ray-Pollock-le-diable-tout-le-temps4ème de couverture
De la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 60, les destins de plusieurs personnages se mêlent et s’entrechoquent. Willard Russell, qui a combattu dans le Pacifique, est toujours tourmenté par ce qu’il a vécu là-bas. Il est prêt à tout pour sauver sa femme Charlotte, gravement malade, même s’il doit pour cela ne rien épargner à son fils Arvin…
Carl et Sandy Henderson forment un couple étrange qui écume les routes et prend de jeunes auto-stoppeurs qui connaîtront un sort funeste
Roy, un prédicateur convaincu qu’il a le pouvoir de réveiller les morts, et son acolyte Theodore, un musicien en fauteuil roulant, vont de ville en ville, fuyant la loi et leur passé.

Donald Ray Pollock s’interroge sur la part d’ombre qui est en chaque individu, sur la nature du Mal. Son écriture est d’une beauté inouïe mais sans concessions. Avec maestria, il entraîne le lecteur dans une odyssée sauvage qui marque durablement les esprits.

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Donald Ray Pollock propose un voyage direct dans l’Amérique profonde et authentique, celle des gens simples, alcooliques, violents… Avec un style direct et efficace, l’auteur nous emmène dans une histoire où les pages se dévorent très vite. Welcome dans la noirceur…

Trois histoires vont nous être présentées où l’on va suivre trois groupes de personnes que le destin va faire croiser. Un jeune homme, qui avait un père revenu de l’enfer de la guerre du Pacifique qui tomba profondément amoureux d’une femme, sa mère. Toutefois, lorsque cette dernière meurt de maladie malgré le fanatisme religieux, son père ne supporta pas cette perte et se donna la mort. Il va être éduqué par sa grand-mère qui élève également une autre enfant, qui a perdu ces parents. Son père avait un ami en fauteuil roulant, ils voyageaient ensemble pour prêcher dans les églises. Ces deux hommes vont traverser les Etats-Unis dans une vie de vagabondage. Croyant un instant être habité par la lumière divine, l’un soutenu par l’autre va commettre un meurtre en pensant avoir le pouvoir de faire revivre les gens. Pas de chance, ce n’était pas le cas. D’ailleurs, le meurtrier va rencontrer nos deux derniers héros, un couple un peu particulier. Une femme aguicheuse avec un photographe, passionné de cadavres fraichement tués.

Quoi? Dans ce résumé, la bonne humeur ne règne pas? C’est bien normal. Donald Ray Pollock a choisi de nous plonger dans un univers où de l’espoir naquit toujours de la déception et de la noirceur. Le Diable est bien présent car chacun malgré ses croyances va commettre des meurtres plus horrible les uns que les autres. Le tout ponctué par une écriture dans un direct et très efficace. Pas de descriptions trop longue et inutile. Chaque mot est bien pesé pour aller à la rencontre du psychisme de chaque personnage. En plus, le tout structuré de courts chapitres dynamise la lecture facilitant le fait de tourner les pages avec délice.

Si la noirceur ne vous fait pas peur et que vous adorer les aventures loufoques et sauvages, alors vous allez adorer Le Diable, tout le temps. Vous pourrez le reconnaître vite, la couverture est rouge avec des croix et un crâne animal.

L’avis de Manika avec qui j’ai partagé cette lecture et qui m’a offert le livre 🙂
L’avis de la Cannibal Lecteur

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Joe de Larry Brown

Les carnets de Cerise – Le zoo pétrifié – Tome 1 – Joris Chamblain et Aurélie Neyret

images-2Et mon truc à moi pour raconter des histoires, c’est observer les gens, imaginer leur vie, leurs secrets. on a tous un secret enfoui au fond de nous, que l’on ne dit pas, mais qui fait ce que nous sommes.

Erica, c’est l’opposé complet de Line. C’est une éternelle  râleuse, mais elle a un bon fond. Elle a quatre grands frères, du coup elle a appris à se défendre! Avec Line, on ne l’entend même plus râler, tellement c’est naturel chez elle.  
Ses parents lui ont transmis, à elle et à ses frères, de vraies valeurs de respect, d’honnêteté pour faire d’eux des gens bien. 
Alors elle n’est pas contente quand les choses ne vont pas dans le bon sens. Râler c’est sa façon à elle de remettre les choses en question, d’essayer de les faire avancer, de les améliorer. Et je la respecte pour ça. 

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La Bibliothèque de Villers – Benoît Peeters

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4ème de couverture
Venu à Villers pour y conduire une enquête sur des crimes vieux de plus de cinquante ans, le narrateur se trouve entraîné, presque malgré lui, dans la plus angoissante des aventures. Plusieurs meurtres vont se produire coup sur coup dans cette ville où le temps semble s’être assoupi. D’abord simple spectateur, le narrateur se trouve soudain mêlé à cette affaire incompréhensible et dont l’étau, cependant, se resserre progressivement autour de lui… L’intrigue de La Bibliothèque de Villers se réfléchit, à la manière d’un miroir critique, dans le bref essai que constitue Tombeau d’Agatha Christie et qui s’emploie à démasquer les procédés familiers de l’auteur des Dix petits nègres. La Bibliothèque de Villers annonce également par bien des traits la série des Cités obscures, réalisée avec François Schuiten.

SPOILER. Difficile de parler de ce livre, surtout de la première histoire La Bibliothèque de Villers, sans dévoiler la fin. Car je n’arrive à choisir si j’ai détesté ou si je dois crier au génie. Dans la postface de Jan Baetens, on lit cela, « D’autre part, l’inachèvement programmé du texte est tel que la simple relecture individuelle, non écrite, ne sera jamais suffisante pour rendre justice à l’appel du livre. » où « Il existe d’ailleurs de nombreuses anecdotes sur des lecteurs à bout de nerfs assaillant l’auteur de coups de fil dans l’espoir de lui arracher la clé supposée de l’énigme. » En effet, j’étais accroché à cette histoire avec des meurtres et l’enquête pour découvrir qui peut bien les commettre. La fin de l’histoire arrive et le narrateur me dit qu’il sait qui est le coupable mais qu’il ne le dévoilera pas. Quoi?? Je relis la fin et je n’ai pas mal compris ou rater des éléments. Non, le secret sera garder par l’auteur.

Dans l’essai qu’il nous propose par la suite sur l’oeuvre d’Agatha Christie, il explique comment se construit les romans policiers. D’ailleurs, il parle un peu de sa nouvelle précédente « Il n’est pas impossible d’imaginer, en prolongeant cette idée, un roman dont la fiction serait suffisamment passionnante pour que le lecteur ressente, avec une très grande intensité, le désir de connaître son dernier mot. C’est ce dernier mot qui, précisément, lui serait refusé, le texte ne renvoyant, en sa fin qu’à lui-même et à sa relecture. Le livre serait ainsi offert une seconde fois au lecteur qui pourrait alors, le relisant, y découvrir ce que, dans sa fièvre première, il n’avait pas su lire. » Quel petit malin cet auteur.

Avec un certain talent d’écriture, où l’on sent tout de même la plume d’un chercheur, il m’a mené en bateau. Je suis partagée avec le génie de m’avoir tenu en haleine, d’avoir provoquer en moi de la colère, du mécontentement et celle de crier au mensonge. Comment peut-on emmener le lecteur dans cette attente pour le planter? L’essai sur Agatha ne m’a pas calmé. Bien au contraire, en plus, il me nargue par rapport à la création d’un roman policier.

Bref, une lecture que je ne risque pas d’oublier. Dois-je remercier mon libraire de me l’avoir conseillé? Je réfléchis encore.

L’avis du Monde de Papier

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